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Stanley Kubrick
La quête de la perfection
FEAR AND DESIRE – USA/1953/N&B/ 61 mn
Une guerre, quelque part, un jour.
Après le crash de leur avion, une patrouille se trouve en territoire ennemi. Cherchant le chemin pouvant les ramener à leur camp, ils tombent sur une jeune femme qu'ils font prisonnière, puis découvrent un avant poste ennemi où se trouve un général...

Parfois, les premières œuvres donnent un aperçu brut de ce que seront les productions à venir de l'artiste. Dans le cas de FEAR AND DESIRE, on a l'impression de voir un concentré de ce qu'on pourrait reprocher à Stanley KUBRICK dans toute sa carrière : un besoin de tout contrôler (ici, il est autant réalisateur que producteur, directeur photo et monteur) et une narration très – voire trop – cérébrale, sur un sujet qu'il traitera assez souvent : la Guerre et le rapport à la violence chez l'Homme. Dans un splendide Noir et Blanc (particulièrement dans les scènes nocturnes), on assiste à l'éclatement de cette patrouille, dont chaque élément semble plus soucieux de jouer ce que la vie réelle leur refuse – la survie ne paraissant que secondaire : le lieutenant pétri de bons sentiments, en quête d'honneur ; le sergent conscient que la guerre lui donne un statut qu'il ne pourrait atteindre en temps de paix ; le soldat, naïf, que la peur et le désir rendra plus barbare que ses hypothétiques ennemis.

Un film au doux parfum de rêve étrange, peut-être un peu trop verbeux et littéraire, à la mise en scène qui peut autant effleurer la maladresse que la perfection... A conseiller pour les fans, les 61 minutes pouvant, pour les simples curieux, paraître interminables... (10 septembre 2016)
KILLER'S KISS (LE BAISER DU TUEUR) –USA/1955/N&B/ 65 mn
A l'issu de son dernier combat de boxe qu'il perd lamentablement, David Gordon sauve, un peu plus tard dans la même soirée, sa voisine d'une agression. L'agresseur n'étant nul autre qu'un prétendant de cette dernière et son patron par la même occasion. Très vite Gloria, la voisine, et David, le boxeur, s'éprennent l'un pour l'autre et décident de quitter la ville. Mais le patron de Gloria, entraîneuse dans son dancing, ne l'entend pas ainsi, et cherche à éliminer David.

Deuxième long métrage de Stanley KUBRICK. Un film noir qui suit scrupuleusement le cahier des charges du genre : un homme qui doute et qui souhaite changer de vie, la femme fatale que le héros rencontre par hasard et qui ne sera pas sans répercussion sur son destin... Malgré le cadre serré, étouffant, le génie pointe par quelques audaces (un plan en négatif en guise de rêve prémonitoire) tandis que la mise en scène joue sur les ombres comme celles des maîtres des Films noirs s'inspirant de l'expressionnisme, et s'essaie aux scènes tournées à même la rue (SIODMAK, DASSIN...).
Un long métrage un peu court - trop peut être - qui semble avoir été épuré le plus possible, la voix off tissant le lien entre les scènes épargnées par les coups de ciseau au montage.
Un film beaucoup plus "tout public" par rapport à son coup d'essai, mais pas encore marqué par la touche kubrikienne, même si l'on ressent l'objet d'une de ses angoisses personnelles : l'imprévu qui gâche le projet bien planifié.

Le climax offre d'ailleurs une métaphore amusante, comme si conscient que ses personnages, pas assez caractérisés, n'étaient que des pantins, la scène se déroule dans une fabrique de mannequin...
A noter : l'usage d'une hache qui sera aussi l'objet d'effroi dans SHINING comme une réminescence possible d'un souvenir de cinéphile, KUBRICK aurait-il vu et été marqué par THE PHANTOM CARRIAGE de Victor SJOSTROM ?... (17 septembre 2016)
THE KILLING (L'ULTIME RAZZIA) – USA/1956/N&B/ 81 mn
Johnny Clay est sûr de lui, son plan est infaillible pour ne pas dire parfait : la caisse d'un champ de course est à portée de main et ses 2 millions de dollars aussi. Mais c'était sans compter sur Sherry Peatly, épouse de George, un des membres du gang, qui, elle, est plus portée par l'argent que par les attentions de son mari...

Stanley KUBRICK n'a pas encore 30 ans et offre au Cinéma de genre, le Film noir, une de ces plus belles pépites tournée en 21 jours. Sans le moindre temps mort, on suit la préparation d'un casse qui aurait pu être parfait si l'un des membres n'était pas faible devant les charmes d'une femme capricieuse et volage. Il perfectionne ses techniques de mise en scène pour le bien de la narration (voix off, flashback moins abrupte que son film précédent, travellings, plans séquences...) au point qu'on ne sent même pas les prouesses techniques de mise en scène tant nous sommes pris dans l'intrigue, THE KILLING (double sens : tuerie et "make a killing" : ramasser la mise) lui ouvrira les portes de cette reconnaissance rendant enfin possible des projets plus ambitieux et personnels (le film le fera d'ailleurs remarquer par Kirk DOUGLAS).

Le masque porté par Sterling HAYDEN inspirera celui des braqueurs de banques de THE DARK KNIGHT de Christopher NOLAN, et la déstructuration chronologique de l'histoire pour intensifier le suspense influencera beaucoup de réalisateurs comme le plus récent, Quentin TARANTINO pour RESERVOIR DOGS. (30 septembre 2016)
PATHS OF GLORY (LES SENTIERS DE LA GLOIRE) – USA/1957/N&B/ 84 mn
1916. La Première Guerre mondiale qui n’est qu’à la moitié de sa durée, s’embourbe. Le général français Broulard ordonne au général Mireau une offensive suicidaire sur la cote 110 surnommée « La Fourmilière », réputée pour être tenue par les Allemands et considérée comme imprenable. L’assaut mené par le Colonel Dax (Kirk DOUGLAS) est un vrai massacre et force les troupes françaises à reculer. Piqué dans son estime, le général Mireau demande à exécuter pour l’exemple une poignée de soldats.

Comme il est ironique de voir l’un des films les plus anti militariste et critique sur l’armée française, tourné par un jeune cinéaste américain (la Marseillaise est quand même utilisée pour le générique du début !). Stanley KUBRICK, non sans maturité malgré ces 29 années entamées, offre un drame cynique où les officiers déconnectés des champs de bataille et de la réalité des combats, tiennent leur état-major dans les beaux châteaux parmi les dorures et les marbres tandis que des jeunes hommes meurent dans les tranchées boueuses sous les explosions des artilleries lourdes, les gazs des premières armes chimiques et les balles ennemies. D’ailleurs, cet ennemi, dans PATHS OF GLORY, ne porte pas de casque à pointe, mais bien plutôt des galons aux épaules et des médailles sur la poitrine des uniformes de l'armée française, pour des bravoures exagérées, quand elles ne sont pas fictives ; des gradés qui poussent à la mort ses propres soldats dans des objectifs impossibles et suicidaires, juste pour satisfaire un orgueil et des petites ambitions personnelles… Un film sans concession, où l’on côtoie la peur et le désespoir de soldats, conscients que leur vie ne tient qu’au fil ténu de l'indifférence des généraux qui les destinent au massacre, révélant la lâcheté de ses derniers, sortis de belles écoles. Un clivage des classes qui se retrouvent même symboliquement dans le dopage des différents représentants de l’armée – le général boit son cognac, le sous-officier son martini, le poilus son pinard qui racle la gorge, pour y trouver, chacun à sa manière, l'ivresse où puiser du courage.
Inspiré de faits historiques (rappelons que plus de 2500 soldats furent fusillés dont 600 pour "l’exemple", le film traite de l’affaire des caporaux de Souain et Chapelant. Kirk DOUGLAS brille dans le rôle d’un Colonel animé par son courage et son humanité, qui découvre avec horreur cette monstruosité qui dépasse tous les massacres qu’il a pu observer sur le champ de bataille. La caméra froide, précise comme un coup de bistouri, déchire le voile de l’héroïsme de pacotille des gradés qui brillent dans les salons, boursoufflés d’orgueil et de vanité, qui n'hésitent jamais à faire tirer l’infanterie sur leurs troupes tétanisées par la peur. Des troupes bloquées par les tirs ennemis, capable de jeter une grenade sur une ombre sans savoir si c’est un soldat de leur propre infanterie, si éblouies par le petitesse d’âme de leur gradé, qu’une cour martiale ne devient plus qu’une farce, où la vie des héros sont condamnée avant même que le verdict ne soit tombé.

Tourné en 1957, il ne sortira en France qu’en 1975. Non censuré par l’Etat comme on a pu le dire, mais sournoisement par la pression d’ancien combattants pendant que la France s’embourbait dans le conflit d’Algérie, les producteurs préfèrant ne pas demander de visa d’exploitation, dispensant ainsi le gouvernement français de l’époque, de le refuser…Un film qui devrait être diffusé tous les 11 novembres en l’honneur de ceux qui sont morts pour rien. (27 novembre 2016)
SPARTACUS – USA/1960/Couleur/ 180 mn
Spartacus (Kirk DOUGLAS) n'a rien connu d'autre que sa condition d'esclave. Dans une mine de Lybie, il est repéré par Lentulus Batiatus (Peter USTINOV), propriétaire d'une école de gladiateurs, où il n'apprendra pas seulement à se battre pour survivre mais aussi à aimer et se révolter. Lorsque Spartacus devient le héros et le général d'une armée en haillon, l'Empire Romain commence à trembler et s'engage par tous les moyens à réduire à néant cette révolte d'esclaves, de crainte qu'elle ne réussisse à faire tomber l'empire.
Le film le moins personnel de KUBRICK dans sa filmographie et le premier en couleur. N'ayant pas apprécié d'avoir manqué son rôle de BEN HUR, Kirk DOUGLAS produit son propre péplum dont il tiendra lui même le premier rôle. Anthony MANN ne faisant pas l'affaire (certains disent que Kirk DOUGLAS avait toujours eu l'ambition d'engager KUBRICK depuis LES SENTIERS DE LA GLOIRE), KUBRICK est parachuté en début de tournage, aux manettes d'une des plus grosse superproduction du moment.

Voici donc un Stanley d'à peine trente ans, dirigeant ce qui sera l'un des péplums les plus importants de l'époque avec un casting haut en couleurs (Peter USTINOV, le bout en train, la diva Jean SIMMONS, Laurence OLIVIER et un Charles LAUGHTON – un peu trop porté trop sur la bouteille et qui ne peuvent se supporter –, le discret John GALVIN qui lâchera bien plus tard sa carrière d'acteur pour être ambassadeur des États Unis à Mexico et le tout jeune Tony CURTIS)... KUBRICK ronge son frein, se fait discret, s'éclate sur la mise en scène de batailles qui – pour l'époque – sont d'une rare violence... Film d'acteur producteur, qui compte bien imposer ses choix, tel que d'adapter un roman d'Howard FAST et scénarisé par un Dalton TRUMBO, tous deux balcklistés par le Maccarthisme... Saul BASS, quant à lui, se charge d'un générique impressionnant visuellement... Sous ses apparats de film à grand spectacle, SPARTACUS est une œuvre politique dans un genre pourtant emprunt de religion (les péplums de l'époque étant très souvent des œuvres tirés de la Bible et adoubé par l'Eglise), mais qui a aussi l'audace d'aborder les tabous tel que l'homosexualité en faisant un gros doigt d'honneur à la censure puritaine du moment (la scène dans le bain entre Laurence OLIVIER et Tony CURTIS dans le bain, où les deux personnages débattent sur les huitres et les escargots ne passera d'ailleurs pas la censure et sera rétablie qu'en 1990 dans la version restaurée).
Le film récoltera 4 oscars. Stanley KUBRICK n'y gagnera qu'une fervente volonté de s'éloigner au possible des studios afin de garder une indépendance et un contrôle totales sur ses films... (10 janvier 2016)
LOLITA – USA & ROYAUME UNI/1962/N&B/ 153 mn
Humbert Humbert (James MASON), professeur de littérature, arrive fraichement à Ramsdale dans le New Hampshire, pensant que ce coté vieille Angleterre de cette partie du nouveau monde ne le dépaysera pas trop du vieux continent. En quête de tranquillité pour peu de frais, il cherche une chambre d'hôte. Charlotte Haze (Shelley WINTERS), veuve en quête d'un nouvel homme et de bras réconfortants est vite séduite par cet étranger. N'est elle pas elle même une amoureuse de littérature ? Mais voilà, les avances grossières ne sont pas forcément au goût de cet Humbert qui plutôt que de franchir le seuil de la porte pour prendre ses jambes à son cou, se dirige vers le jardin où la nymphe vénéneuse Dolorès est alanguie dans le jardin, sans se douter que sa damnation débute en cet instant précis.

Sorti des arènes romaines, Stanley KUBRICK ne s'attaque pas pour autant à un sujet facile. Livre sulfureux de NABOKOV – et malgré la participation de celui-ci à l'écriture du scénario – KUBRICK s'approprie l'essence de l’œuvre. Tel un alchimiste, il fixe l'éther qui fait l'âme du livre pour la transposer sur une nouvelle matière : le cinéma. A quoi bon respecter à la lettre et subir les coupes d'une censure en furie ? La Lolita devient adolescente et non plus prépubère, on atténue la violence et la sexualité... Mais ce que l'on perd en scène, on le rattrape dans les dialogues sans cesse imprégnés d'insinuations, au point qu'une simple discussion entre couples dans un bal de fin d'année donne l'impression qu'ils traitent d'échangisme...
On pourrait croire qu'il se dessine dans cette filmographie encore au stade de embryonaire un thème récurrent : la sexualité... Mais les prochains films changeront de cap (pour mieux y revenir ?).
Mais plutôt d'évoquer l'érotisme incontrôlable d'une jeune femme, ravageant les hommes sur son passage, c'est surtout le portrait d'un homme tourmenté par une passion interdite, intellectuelle, qui, tant qu'il sait mettre de beaux mots et la théoriser, s'aveugle de la même façon que la mère en tel manque d'amour qu'elle se refuse aussi de voir la vérité en face (et quand elle la découvrira enfin, cette vue retrouvée lui coûtera la vie). Car Lolita n'est qu'une poupée dans l'esprit d'Humbert qui lui renvoie l'image d'un homme viril, lui, si peu sexué qu'il évoque parfaitement ces pédophiles n'éprouvant du désir pour les enfants que pour le "contrôle sexuel" qu'ils peuvent avoir sur leurs victimes, et qui se figent devant la sexualité mature et assumée, quelle soit féminine ou masculine.

Peter SELLER, en léger pervers manipulateur, est délicieux... comme à son habitude, il joue le caméléon et trompe autant le personnage principale tenaillé par sa mauvaise conscience que le spectateur excédé par le pathétisme de ce dernier...
Hélas, la sortie du film ne sera pas épargné par le scandale, forçant les coupes dictée par la censure au point de faire regretter à KUBRICK d'avoir tourné ce film... (7 février 2017)
DR. STRANGELOVE OR : HOW I LEARNED TO STOP WORRYING AND LOVE BOMB (DOCTEUR FOLAMOUR OU : COMMENT J'AI APPRIS A NE PLUS M'EN FAIRE ET A AIMER LA BOMBE) – USA & ROYAUME UNI/1964/N&B/ 94 mn
En pleine guerre froide, le général américain Jack Ripper (Sterling HAYDEN) commandant d'une base militaire de l'US Air Force, sous l'emprise de ses délires paranoïaques et éthyliques, envoie ses bombardiers B-52 chargés de bombes nucléaires rayer l'URSS de la carte après avoir pris soin de couper tout contact avec le monde extérieur. Le présidents des États Unis et ses conseillers se réunissent pour une réunion d'urgence afin d'éviter à tout prix l'holocauste à venir risquant d'effacer à jamais le monde moderne de la surface de la Terre...

Stanley KUBRICK s'essaie à la farce, et au delà d'un film anti militariste à l'extrême (thématique abordée déjà dans quelques uns de ces films précédents avec FEAR & DESIRE et LES SENTIERS DE LA GLOIRE) aux fulgurances cyniques – rappelons que nous sommes en pleine période de guerre froide où la tension était à son comble – c'est aussi et surtout un film féministe qu'il commet malgré lui : la guerre est un jeux de petits garçons. D'ailleurs, une nouvelle fois, ceux qui s'y adonnent, sont souvent bien à l'abri dans leur bunker pendant que les troupes s'entretuent et les civils se prennent des balles perdues.
Hormis la seule femme au casting (Tracy REEDS) – caricature du fantasme de bureaucrates phallocrates, amante de général qui semble jouer à tous les niveaux, qu'entre deux moments câlins, joue le rôle de confidente – tout le casting se compose d'hommes frustrés, impuissants, alcooliques, paranoïaques, qui s'étrillent les uns les autres, s'accrochent à leur décision pour ne jamais perdre la face, jusqu'à ce que la raison les reprenne bien qu'il soit soit trop tard.
Tout le monde en prend pour son grade : les américains, embarrassés qu'un des leurs déclenche une mission autodestructrice sous l’œil embêté d'un officier pleutre de la Royale Navy Air Force, et d'autres généraux qui ne peuvent s'empêcher de jouer aux coqs dans la salle d'opération militaires comme des gamins dans une cour d'école ; un président des États Unis sachant être sévère avec ses hommes, mais suant la peur quand il prend au téléphone le Premier Ministre soviétique soupe au lait ; l'Ambassadeur Russe qui pousse son dévouement idéologique jusqu'à jouer les espions de pacotille le jour du Jugement derniers ; les Soldats si bien dressés idéologiquement, serrés comme des sardines dans la carlingue de leur bombardier, qui ne remettent aucunement en question l'ordre de destruction massive qu'ils s'apprêtent à executer.

Peter SELLERS, une nouvelle fois sous l’œil de KUBRICK, s'en donne à cœur joie, en jouant trois rôles (notons que son entrée est identique à celle de LOLITA où, caché, il apparait à l'écran là où on ne l'attend pas) : le Président des États Unis, l'officier de la RAF, et ce fameux Docteur Folamour, sorte d'imminence grise d'origine nazie, qui relativise la destruction massive à venir en prônant la polygamie en sélectionnant les meilleurs gênes ! Dénonciation couillue à travers ce personnage de tous ces exfiltrés nazis ayant bénéficié du réseau Ratline après l'abdication du IIIe Reich et que l'on retrouva plus tard de l'autre côté de l'Atlantique...
Sûrement pas le meilleur KUBRICK (les effets spéciaux n'égalent en rien ceux qui suivront 4 ans plus tard pour son space opéra mythique), mise en scène sobre, pas toujours drôle à moins que l'on aime le burlesque et le cynisme poussés à son extrême... Mais un film qui a le mérite d'assumer une forme de courage artistique au temps d'une drôle de guerre...
Anecdote 1 : le film devait sortir le 22 novembre 1963 : pas de chance, ce jour là, à Dallas, un Président américain se prenait trois balles tirées d'endroits différents d'un même supposé tireur isolé...
Anecdote 2 : George G SCOTT, qui interprète le général Buck Turgidson avait la réputation d'être un acteur difficile et un bon joueur d'échec. Seul le premier point était vrai. Stanley KUBRICK amena un échiquier sur le plateau et battit à plate couture l'acteur qui se tint un carreau durant tout le tournage... (13 mars 2017)
2001 : A SPACE ODYSSEY (2001, L’ODYSSÉE DE L'ESPACE) – USA & ROYAUME UNI/1968/Couleur/ 149 mn
A l'aube de l'humanité, des australopithèques luttent pour leur survie dans un milieu hostile. Espèce fragile, vulnérable, vivant dans la crainte des prédateurs, une de ces tribus se réveille un matin au côté d'un étrange monolithe noir, dont l'effleurement au toucher, ne sera pas sans conséquences sur l'évolution de l'humanité.
1999 : sur la Lune, dans le cratère de Tycho, une anomalie magnétique perturbe les systèmes de mesures et le monde scientifique : un monolithe enterré est découvert qui, au contact de la main gantée d'un membre de l'équipe de chercheurs, déclenche un signal qui trouve son écho à l'autre bout du système solaire...

Stanley KUBRICK pousse son obsession de la perfection dans la production et la mise en scène d'un film de Science-Fiction qui, bien que souvent imité depuis, ne sera jamais égalé. Abordant cette fois-ci un genre n’étant jusque-là réservé qu'aux productions de Séries B et à la littérature de gare – et donc jamais vraiment pris au sérieux par l'Intelligentsia et les critiques – il révolutionne le cinéma en transcendant la Science-Fiction, tout en offrant à l’Histoire de Cinéma, sûrement l'une des créations les plus inoubliables, au point qu'elle conserve encore sa place dans le panthéon réservé aux films majeurs.
Devons-nous cette œuvre à la Conquête spatiale qui débute à la même époque, et oppose les deux puissances qui se divisent le monde ? Très certainement. Comme transporté par son sujet, KUBRICK y perfectionne sa mise en scène (le bal des objets célestes, des bases spatiales et astronefs, dans un espace sans limite où le temps semble dilué jusqu'à l'immobilité dans un silence presque oppressant s'il n'était pas drapé de symphonies grandioses) qu'il frôle là, la quintessence. L'intellect du metteur en scène affine son œil analytique à travers des axes et symétries aux proportions inassimilables pour le commun des mortels, au point qu'il en frôle le divin, poussant si loin son souci de perfection et sa réflexion, qu'il entraîne avec lui le spectateur dans une explosion sensorielle et cérébrale quasi hypnotique.
En plus de deux heures, Stanley KUBRICK offre sûrement là, au Cinéma – et à l'Art – le plus beau film de son histoire, un chef d’œuvre intemporel, à l’apparence si hermétique qu’elle rayonne de mystère, si bien que sortant de la séance, dans l’esprit du spectateur lessivé, des questions existentielles rarement abordés à travers ce média – et jamais de manière si spectaculaire – tourbillonnent : A qui devons-nous notre évolution, qu’elle est donc cet évènement déclencheur qui fit qu’un australopithèque se dresse un jour permettant à l’homme d’effleurer les étoiles ? Sommes-nous le jouet d’une intelligence supérieure, cosmique, qui transcenderait l’espace-temps, laissant ça et là dans l’univers des traces de son existence pour nous aider à surpasser des étapes – ce Monolithe ne symbolise-t-il pas le génie humain voire, ne serait-il pas l'incarnation d'une Volonté de Puissance si chère à Nietzsche ? Ne serions-nous pas, après tout, qu’une simple étincelle dans un univers sans limite, le vaisseau de quelque chose de bien plus grand et de plus noble ?

Mais 2001, c'est aussi une réflexion sur le rapport entre l'homme et l'intelligence artificielle (pour rappel, le film sort en 1968 : même si déjà l'envoi de fusées de satellites nourrissent l'actualié, et qu'un an plus tard, l'homme posera un pied sur la lune, le concept d'intelligence artificielle – très d'actualité de nos jours – n'était que de l'ordre de la fiction à cette époque !). Au-delà de la défaillance possible de cette technologique considérée comme imperfectible, c'est aussi un reflet sur la propre condition de l'homme : dans le rapport entre HAL et les astronautes – et plus particulièrement Bowman (Keir DULLEA) missionné sans connaître vraiment son objectif précis (le fatum de tout homme : avancer dans la vie sans en connaître vraiment le but) – il y a cette solitude profonde et commune entre cet homme et cette machine, comme si l'un était le reflet de l'autre : l'un composé d'éléments électroniques et de silicium, l'autre, être de chair envoyé si loin dans les étoiles, que sa Terre natale ne devient peu à peu qu'une simple idée se résumant à quelques images captées par son visiophone telle la réminiscence d’une vie qui ne lui appartient déjà plus.
Plus qu'un film de Science-Fiction, 2001 est une œuvre imprégnée de philosophie nietzschéenne qui traite autant de la volonté de puissance qui pourrait se dégager de ces monolithes, que de cette conception circulaire de la vie, édifiant la pensée du concept de l’Éternel Retour (Also Sparch Zarathoustra de Richard STRAUSS en intro et en musique final, le cercle omniprésent dans la rotation des objets – qu'il soit un simple os ayant servi d'arme, jeté par un australopithèque transporté par la pulsion créative toute-puissante, que la rotation silencieuse et lente, d'une base spatiale et d'astronef, le mouvement des planètes ou ces lumières psychédéliques accompagnant Bowman dans son plongeon sidéral vers l'infini – mais aussi dans ce plan final après cette longue odyssée au bout de cet infini, où l'astronaute, après les étapes successive de son voyage, retourne sous une forme imprégnée d'innocence, que d'aucun jugerait divine ou au moins pourvue d'une conscience supérieure et bienveillante vis à vis de l'humanité.
2001 : SPACE ODYSSEY est un joyaux, de ces chefs d’œuvres que l'on se surprend de redécouvrir au fil des visionnages, inaccessible si vous ne vous contentez de l'appréhender que par l'intellect, à la hauteur des plus belles œuvres d'art...

Mais c'est aussi un message d'un génie s'adressant aux générations futures qui, au fil du temps, ne cessent de fuir du regard les voies célestes pour ne fixer que le bout de leurs chaussures.
Epopée universelle, intemporelle, 2001 : A SPACE ODYSSEY peut se vanter d'être un mythe moderne capable de porter son message bien au delà de notre ère. Car cette odyssée n'est pas simplement l'aventure d'un homme, mais celle de l'humanité, destinée à se surpasser et à dépasser les limites imposées par les lois de la physique, comme si celles-ci ne se composaient que d'exuviations où l'humanité passée succède à une autre, supérieure, idéale.

Anecdote 1 : Beaucoup ont vu en HAL, l'intelligence artificielle, une dénonciation d'IBM qui "commençait" alors à imposer une nouvelle génération de machines ordinateurs - H est la lettre précédant I, A à B et L à M. Arthur C. CLARK, co-scénariste du film et romancier de Science-Fiction – quand il n'était pas futurologue à ses heures perdues (je vous conseille de lire 20 Juillet 2019) – aurait démenti cette théorie, expliquant que le lien entre HAL et IBM ne serait qu'un pur fruit du hasard...
Anecdote 2 : "Nul n'est prophète en son pays". Nul n'est génie en sa génération : 2001 SPACE ODYSSEY fut démonté par les critiques de l'époque. Variety se moqua de ses effets spéciaux (qui 50 ans plus tard, ne sont jamais encore démodé), New York Time qualifia d’œuvre d'un ennui mortel...
Anecdote 3 : Même les plus belles œuvres ont leur part sombre... Il y a des similitudes assez frappante entre ce 2001 et IKARIE XB1, film de SF Tchèque sorti 5 ans plus tôt... (13 mai 2017)
A CLOCKWORK ORANGE (ORANGE MÉCANIQUE) – 1971/USA & ROYAUME UNI/Couleur/ 136 mn
Alex DeLarge (Malcom McDOWELL) est un nadsat comme les autres, du moins le jour. Il glande, s'adonne à des séances de "ça va, ça vient" avec des devotchkas croisées chez le disquaire où il dilapide, entre autre, sa mouizka en disques de musique classique et sèche l'école. Le jour, sous ses allures de dandy bien élevé, on lui donnerait le bon dieu sans confession, Et quand il ne sort pas, Alex reste dans l'appartement vide de ses parents, la sono au maximum, et se laisse porter par les symphonies du grand Beethoven dont les posters prônent autant sur les murs que ceux de jeunes tchinas dénudées aux gros groudnés et nogas écartées...
Pé et éme, désœuvrés, laissent la mauvaise graine pousser, sans vraiment savoir – ou ne le préfèrent-ils pas ? – ce que leur progéniture unique peut faire pour maintenir un tel train de vie.
Mais quand la nuit tombe, shlalpa vissé sur la tête, vêtu dans sa tenue de cricket avec coquille apparente, chaussé de rangers, et armé de sa shlaga, Alex s'en va rejoindre ses droogs pour prendre des verres de Moloko Plus dans leur bar préféré et s'en aller ensuite écumer les rues crasseuses de la ville, désertées par les milicihiens, pour casser, frapper les pianitza, violer les devotchka et craster ce qu'ils trouvent, quand ils ne s'adonnent pas à quelque dragstarre avec d'autres shaïkas, à coup de chaine, nodz et shlaga...
Jusqu'à ce qu'un soir, lui et sa bande tombe sur la babouchka au koshkas et qu'Alex, trahit par ses droogs, se retrouve en prita...
Mais par chance, le nouveau gouvernement en quête de coupe budgétaire, lance un programme révolutionnaire de réinsertion, et Alex se propose d'en être le premier cobaye, au risque de sacrifier en lui, ce qui lui est plus cher...

Stanley KUBRICK tombe accidentellement sur le roman d'Anthony BURGESS, après que son projet NAPOLEON BONAPARTE tombe à l'eau, et c'est tellement le coup de foudre, que l’œuvre originale souffrira peu de son adaptation au cinéma...
Opéra d'ultra violence, bourré de cynisme malaisant, le film suit le jeune Alex DeLarge dans son quotidien et son enfermement, où l'animal ne cesse de fantasmer la violence sous toutes ses formes. Sociopathe manipulateur à l'égo si démesuré qu'il ne se rend pas compte qu'il est lui-même manipulé, tant par l'organisation qui veut déstabiliser l’État que par le gouvernement lui même, A CLOCKWORK ORANGE (ORANGE MECANIQUE) est un bal des dupes entraîné par une bande son composée de musiques classiques, certaines étant même distordues dans des accords électroniques qui accentuent plus encore le cynisme et le malaise, comme si nous avions sous les yeux un cartoon sous trip, dessiné par un psychopathe, au point que l'on se surprend de ressentir autant d'empathie que de dégoût pour Alex, dans sa détresse et sa souffrance.
Le génie de KUBRICK étale ici magistralement tout son cynisme dans une œuvre d'anticipation qui semble avoir même anticipé notre époque actuelle...
Retiré des salles après 61 semaines à la demande du réalisateur, harcelé par des menaces et des manifestations de groupes d'individus choqués par le contenu du film mais aussi par la manière dont la violence était à ce point esthétisée, A CLOCKWORK ORANGE (ORANGE MECANIQUE) ne reviendra en salle que 27 ans plus tard...

Manifestations qui éludent le propos d'A CLOCKWORK ORANGE (ORANGE MECANIQUE) : le conditionnement et la psychologie comportementale utilisée par le Pouvoir pourrait-elle être le remède pour la paix sociale, alors que la délinquance d'une société n'est juste que le reflet brut d'une société malade, corrompue et cynique ? N'est-ce pas nous décharger de notre responsabilité vis à vis des générations qui nous suivent ? L'usage du conditionnement pour réhabiliter Alex, violence et viol d’un État seulement motivés par les statistiques et les économies budgétaires, seulement inspiré par une probable réélection, prête à annihiler le libre arbitre, offre un modèle effrayant d'une société parfaite (pas de rédemption, si ce n'est au prix d'une déshumanisation) qui n'est pas sans évoquer celle vers laquelle nous tendons nous même...
Stanley KUBRICK confime ici qu'il est autant génie que visionnaire...
Anecdote 1 : L'origine du titre viendrait d'une vieille expression cockney "il est bizarre comme une orange mécanique" (He's queer as a clockwork orange). Anthony BURGESS ayant travaillé en Malaisie ou le terme "orang" veut dire homme, on retrouve orange (dans le sens homme) dans l'argot Nadsat : un homme mécanique tel qu'Alex frôle de devenir après la thérapie Ludovico.
Anecdote 2 : Le garde du corps de l'écrivain infirme joué par David PROWSE jouera une figure mythique de la pop culture, sans qu'on ne se rappelle de ses traits : Darth Vader de Star Wars... (22 juillet 2017)
BARRY LYNDON – 1975/USA & ROYAUME UNI/Couleur/ 184 mn
Redmond Barry (Ryan O'NEAL) est éperdument amoureux de sa cousine, Nora, mais sa condition d'orphelin, d'une famille ruinée qui plus est, ne fait pas le poids devant les ambitions de la famille de l'élue de son cœur, et moins encore des prétentions de celle-ci qui ne voit en son cousin, qu'une simple occupation entre deux promenades et parties de jeux de cartes. Barry, fou de douleur, s'en va donc défier le pauvre prétendant, officier de l'armée anglaise et fuit l'Irlande, persuadé d'avoir abattu ce dernier.
Dépouillé, loin de sa famille, pétrit de honte, il s'engage dans l'armée britannique pour y combattre les prussiens, qu'en tant que déserteur il finira par intégrer de crainte d'être exécuter... Ses faits d'armes, son audace et son dévouement à servir ses nouveaux maîtres, feront de lui un parfait espion. Une occasion rêvée de pénétrer ce monde hédoniste qu'est la noblesse et ses cours, avec, qui sait, l'espoir de croiser une veuve garante d'un bon parti et d'un bel avenir... Quelle opportunité alors, se présente à lui lorsqu'il croise la belle Comtesse de Lyndon (Marisa BERENSON) et son époux si malade que ses jours semblent comptés.

Stanley KUBRICK, en toute possession de son talent et de son art, exauce son rêve de photographe et tourne enfin son film seulement éclairé à la bougie et lumière naturelle – projet qu'il avait déjà en tête lors de la préparation du tournage NAPOLEON qui ne se fera jamais, du fait qu'en 1969, la technologie ne pouvait le lui permettre. Mais plus qu'une prouesse technique et esthétique (les plans d'introduction sont en soi, des tableaux et rivalisent parfois avec les Grands Maîtres), KURBICK fait aussi cet exploit de pousser à l'extrême sa maitrise de la mise en scène et de la narration au risque d'effleurer l'ennui...
Accusé souvent d'être long et ennuyant – prêt de trois heures de long métrage, quand même ! –, Barry LYNDON nous emporte dans l'aventure picaresque d'un jeune homme qui, parti de rien, gagnera tellement qu'il finira par tout perdre à la fin. Sa quête de reconnaissance auprès de ces nobles tout aussi roublards que lui, le menant à sa perdition. Dans une mise en scène des plus simples, où les plans fixes de chaque scène sont introduites par de long zoom arrière, on se demande si l'inspiration manque au réalisateur pour complexifier sa grammaire filmique, même si l'on oublie que l'usage de caméra spécialement élaborée pour le film (initialement employée par la NASA) devait limiter les autres possibilités de mise en scène. Le cynisme de KUBRICK s'y lâche au point qu'aucun personnage ne suscite la moindre sympathie à moins peut être, le seul et unique fils de Barry LYNDON qui révèle chez l'aventurier la facette d'un père aimant, capable de pleurer son enfant et sa propre faiblesse de l'avoir peut être trop aimer...
