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Made in Italy
Chapitre 1 : 1911 - 1958
INFERNO de Francesco BERTOLINI & Adolfo PADOVAN – ITALIE/1911/N&B/ 65 mn
Toute société avancée tend à développer son temps dédié au plaisir. Dès le début du XXe siècle, l’occident ne fait pas l’économie de nouvelles inventions qui simplifieront la vie de ses ressortissants et ce, quelle que soient leur classe : urbanisation des villes, réseaux électriques, voitures, aéroplane, taylorisme, jamais l’homme en si peu de temps, n’aura connu un tel bouleversement dans son quotidien et dans ses usages. L’une de ces inventions intègre les animations de fêtes foraines, et provient d’un pays voisin de l’Italie. Peu après l’invention du cinématographe par les frères Lumières fin de l’année 1895, la projection de vue photographique animée traverse les Alpes : on y expérimente même des pratiques, comme l’entrée en vaporetto au Grand Canal de Venise et à la Place Saint Marc, instituant peut être là, le premier traveling de l’histoire du cinéma. Mais le cinématographe pour le moment ne se contente que de foires, de cabarets et de théâtres de variété.

Film entier, libre de droit
C’est en Florence, en 1899 que la première salle de cinéma est construite et, en 1904, à Rome, « Le Moderno », piazza Esadra. Il ne faut pas longtemps pour que l’industrie du cinéma trouve ses marques même s’il n’y a presque pas de production nationale et que la majorité des œuvres sont importées de France. En 1905, une première société de production naît : la Cinès et produit son premier long métrage La Piesa di Rome (La Prise de Rome qui retrace l’entrée des piémontais à Rome le 20 septembre 1870, qui sera l’acte fondateur de la nation italienne). Les entrepreneurs en quête de retour d’investissement facile voient dans cette nouvelle attraction, l’opportunité de faire rapidement fortune. Après tout, son industrie est légère et à moindre coût. Les sociétés de productions commencent à pulluler, certaines – soutenues par les banques – s’établissent comme de grandes sociétés, d’autre restent au niveau de l’artisanat. La particularité du cinéma émergent italien, au contraire de son voisin français, c’est qu’il n’est pas centralisé.
Chaque grande ville a sa production cinématographique, même si deux s’en distinguent le plus : Rome et Turin. Les entreprises mutent, passent de mains en mains, naissent, fleurissent et se fanent. En 1910, l’Italie peut se vanter d’avoir un réseau de distribution dépassant la centaine de salles de cinéma et ses productions s’exportent en rencontrant un succès tant public que critique. En ce temps-là, les productions de films se partagent entre reconstitution historique et contemporains, cette dernière catégorie se divisant entre comédie, aventure et mélodrame. Les reconstitutions historiques, de par leur ampleur du fait des décors et de la complexité de leur récit, participeront à l’allongement de la durée de projection. Milano Film va frapper un bon coup en lançant la production d’INFERNO, adaptation du texte de Dante. 1911, le film sort en salle et c’est une œuvre qui marquera l’histoire du cinéma.

Film muet, en 3 parties composées de 54 scènes, il raconte le premier chant, avec une série de scène inspirée des illustrations de Gustave DORÉ. Dans une forêt, Dante croise le chemin d’une panthère, d’un lion et d’une louve l’empêchant d’aller plus loin. Béatrice, des limbes, demande à Virgil de venir en aide à Dante. Celui-ci ne se fait pas prier et guide Dante dans les cercles de l’Enfer jusqu’au Purgatoire. Les deux poètes rencontrent sur leur chemin diverses célébrités, toutes punies par leur excès lorsqu’ils étaient encore mortels. Certains des damnés racontent les raisons de leur présence en Enfer, et ces saynètes, constituées de plan fixe sur un décor en carton pâte, peuvent être considérées comme les premiers « flash-back » de l’histoire du cinéma. Economie oblige, l’Enfer est essentiellement tourné en extérieur. Pour ne pas perdre le spectateur peu familier avec le texte, des intertitres tirés parfois directement de l’œuvre, l’aide à suivre. Au fil de leur infernal périple, on assiste au divers sévices des damnés dans des tableaux baroques pour ne pas dire dantesques. Les corps sont enlisés dans la lave, nus et tourmentés, tandis que les fourches des diables lacèrent ces derniers en sautillant de joie déméoniaque, jusqu’à ce que Dante et Virgil rencontre avec Lucifer mastiquant éternellement un Judas se débattant comme un asticot dans ses doigts gigantesques, et ne retrouvent enfin la lumière.

INFERNO marque une étape essentielle, une sorte de clé de voute des œuvres cinématographiques modernes. Les copies sont louées et non plus vendues – quand certains territoires ne disposent pas de l’exclusivité – comme à son habitude, et sera le premier film à obtenir le caractère d’œuvre protégée. Le thème de l’Enfer de Dante est parfait pour concilier le public de foire et les lettrés. Les uns y vont pour s’y rincer l’œil devant un spectacle macabre qui expose au passage de la nudité, et les autres (en apparence) viennent voir l’adaptation d’une œuvre matricielle dans la culture de cette jeune nation, offrant ainsi une caution intellectuelle tant recherchée par cette industrie émergente. Les effets spéciaux, impressionnants pour l’époque par leur ampleur et leur technicité vont bien au-delà de simples faire valoir, s’intègrent complètement à la narration du film. Du fait de son succès en Italie et à l’international, INFERNO ouvre la voie des productions historiques, offrant l'opportunité au cinéma la possibilité d'être tout autant filon commercial et garant d’un certain standing, l'éloignant de l’activité de foire dont il était jusqu’à présent enfermé. Mais INFERNO donne aussi l’occasion pour une jeune nation en quête de mythe fondateur et de symbole, de nourrir une propagande à la construction d’une identité nationale essentielle à toute nation.
DARÒ UN MILLIONE (JE DONNERAI UN MILLION) de Mario CAMERINI – ITALIE/1935/N&B/ 79 mn
A peine émergé, et déjà l’industrie du cinéma italien rencontre son premier déclin. Les années 20 se remettent de la Première Guerre Mondiale. La Révolution Russe impacte les productions italiennes : la Russie du Tsar était friande de ce cinéma. Centralisé depuis dans l’espoir de protégé l’industrie, l’Union Cinématographique Italienne paie sa folie des grandeurs et précipite le déclin. La Crise financière n’arrangera rien : désorganisation, faillite, augmentation des coûts de production, pertes de marchés face à la concurrence allemande et américaine notamment, un cinéma qui se complait dans la non prise de risque et en décalage avec les attentes du public, auquel s'ajoute un désintérêt notoire de l’Etat pour cette industrie, les années 20 voient la production nationale baisser de 400 productions à 140 films en 1920, 61 en 1924, et 20 en 1926, si bien que les artistes et les techniciens quittent le pays pour l’Allemagne, là où l’herbe est plus verte.

Quelques productions locales résistent, les « Sceneggiates », inspirés de chansons, de romans ou de faits déroulé à Naples. Mais celui-ci aussi ne survivra pas à une innovation fatale pour les artisans du 7e art dans un contexte de crise : l’arrivée du Son sur l’Image, l’équipement trop couteux ayant raison d’eux.
Fin Années 20 : les salles de cinéma ne diffusent que des films étrangers. Les studios sont déserts, cette culture nouvelle qui brillaient de mille feux, commence à s’éteindre dans la nuit… Mais de cette nuit surgira un nouvel Ordre politique qui va voir dans cette industrie, une opportunité de contrôler les masses et d’assoir plus encore son régime.
Dès son arrivée au pouvoir et ce, malgré quelques discours de Benito MUSSOLINI, le Fascisme ne s’intéressera pas tout de suite au cinéma. En matière de propagande, la priorité sera donnée à l’écriture et à la Presse. Mais le contrôle de l’information inspirera au régime d’imposer dans chaque salle de cinéma, la projection en début de séance des actualités – bien évidemment sous contrôle de l’Istituto Luce, fondée en 1924 et contrôlant les films éducatifs et d’information. La fiction sera sous la tutelle de la censure : le citoyen italien ne peut plus que voir les journaux officiels dont l’Etat a désormais le monopole et des films passés au crible de la censure. La production nationale étant toujours aussi pauvre, c’est le cinéma importé qui en fais les frais, mais les exportateurs sont assez malins pour ne fournir que des divertissements dénués de toutes atteintes aux bonnes mœurs et au pouvoir en place.
Mais les industriels ne lâchent pas l'ambition d'être aidé par l’Etat, ce qu'il fera à l’apparition du son : les premiers films sonores étant américains, MUSSOLINI ordonne d’interdire tout film qui ne serait pas en langue italienne. Les films sonorisés seront donc projetés, mais sans son, avec juste des intertitres comme au temps du muet. L’Etat se décide enfin à aider les sociétés de production et en 1930, sort le premier film sonore en langue italienne : LA CANZONE DELL’AMORE (LA DERNIERE BERCEUSE) de Gennaro RIGHELLI.
Inspiré par le régime Nazi qui dès son accession au pouvoir crée son Ministère de la Propagande, le gouvernement de MUSSOLINI place en 1934 un sous-secrétaire d’Etat à la Presse et à la Propagande, qui finira par s’appeler Ministère de la Culture Populaire. Les efforts du régime fasciste porteront leur fruit, la production de film italien retrouve son rythme de d’antan mais plutôt que de traiter d’évènement récent pouvant découdre les sutures et raviver les blessures, l’imaginaire proposé par les différentes productions fait l’impasse sur tous les travers de la société, jugé comme immoral par le parti du Duce : pas de conflit de classe, de délinquance, d’adultère, de suicide et encore moins de prostitution. L’Etat offre le rêve d’une société pacifiée, où les seules préoccupations peuvent être des émois amoureux ou des amours impossibles quand elle ne fait pas l’apologie d’un expansionnisme colonial.
Mais l’artiste reste artiste, et rien de peut canaliser sa sensibilité, plus encore quand celui-ci est sensible aux injustices et bien que nombreux sont les réalisateurs et scénaristes qui suivent le cahier des charges imposés par le pouvoir et la censure, et s’enlisent ad nauseam dans la production de bluettes et autres comédies romantiques sans saveurs, certains osent sortir du lot en se jouant des contraintes imposant l’ère des téléphones blancs (car dans ces films, pour marquer la condition sociale des personnages souvent issu de la bourgeoisie, les téléphones étaient blanc, immaculés).

DARÒ UN MILLIONE (JE DONNERAI UN MILLION) raconte l’histoire d’un milliardaire portant bien son nom, Gold, interprété par Vittorio DE SICA, qui, bien qu’il puisse tout s’offrir, pense ne jamais trouver l’amitié désintéressé et encore moins l’amour, tant tous ceux qui l’entourent ne semblent s'intéresser à sa fortune. Une nuit, sur son yacht, il aperçoit un clochard tombé à l’eau – scène qui rappelle d’ailleurs celle de CITY LIGHTS avec Charlie CHAPLIN, 1931 – et plonge pour le sauver. Sur le bord du fleuve, autour d’un feu permettant de se sécher, les deux hommes font connaissance. Gold essaie de convaincre son ami d’infortune de son malheur d’être riche, qu’il envierait presque la vie de bohème du clochard, et se dit presque prêt à donner un million à qui se révèlerait sincère et désintéresser avec lui. Les deux hommes s’endorment autour du feu. Le lendemain, le clochard se réveille seul avec les vêtements de Gold et quelques billets séchant au soleil, le milliardaire ayant pris ses affaires.
Tandis que Gold découvre dans les rues de Toulon, le rapport de classe entre riche et pauvre – car l’histoire se passe à Toulon pour des raisons simples : en France et à l’étranger, il est possible que l’immoralité et le ridicule règnent, tant que ce n’est pas dans la Péninsule sous régime fasciste ! – et croise le chemin d’une jeune femme, Anna, artiste de cirque accompagné d’un chien (à noter que Vittorio DE SICA retrouvera l’idée d’un chien bien plus tard, pour UMBERTO. D, scénarisé d’ailleurs par le scénariste de DARÒ UN MILLIONE, Cesare ZAVATTINI), tandis que le clochard raconte à des journalistes son étrange histoire. Mais, soucieux de vendre leur titre, les rédacteurs préfèrent changer le conditionnel en un futur plein de promesse : Je donnerai un million ! La réaction ne se fait pas attendre : la société toulonnaise à la sortie du titre du quotidien, est pris d'une manie où les riches deviennent soucieux des conditions de vie des pauvres et clochard, de toutes personnes laissant paraître les stigmates de la pauvreté et de la déchéance de ceux qui ne connaissent plus que la rue, s'empressent de de dorloter ses pauvres qu'ils n'avaient de cesse de ne même pas leur prêter un regard ou donner unepièce, dans le secret espoir que sous les traits de ce pauvre, se cache parmi eux ce fameux milliardaire prêt à récompenser cette nouvelle bonté chrétienne.

DARÒ UN MILLIONE est un vent de fraîcheur du début à la fin, plus encore lorsqu’on contextualise le film, tourné à une époque où le fascisme, soutenu par l’Eglise et la bourgeoisie, ne devait pas être tendre avec ce type de discours corrosif. Les notables en prennent pour leur grade, dans leur hypocrise, leur vanité et leur avarice : jamais assez riches, ils sont prêts à simuler la bonté pour en gagner plus. Gold, témoin de la folie mais peu coutumier du quotidien des pauvres, réalise peu à peu ce qui se passe, et s’en amuse, comme il se moque aussi de ces pauvres qui, conscients de ce qui inspire cette subite générosité à leur encontre, profitent de ces excès de générosité qui leur redonne un peu de dignité. Mais l’œuvre se moque aussi des censeurs si endoctrinés dans leur idéologie au point de penser que ce qui se passe à Toulon ne se passerai pas à Rome et ailleurs en Italie où règnerait ici le plein emploi. DARÒ UN MILLIONE montre aussi une légion de pauvre, victimes invisibles des crises successives et qui ne sont pas plus sauver par ce nouveau régime qu'ils ne l’étaient par l’ancien.
On rit, on jubile, aimanté par le charisme de Vittorio DE SICA, anti Charlie CHAPLIN (riche, beau, séducteur, maître de lui) se retrouvant peut-être dans l’ingénuité de celui qui découvre la pauvreté comme un explorateur découvrant une nouvelle tribu. C’est sur ce tournage que DE SICA rencontrera donc Cesare ZAVATTINI, avec qui il tournera donc UMBERTO.D (1952) et LADRI DI BICICLETTE (LE VOLEUR DE BICYCLETTE – 1948).
DARÒ UN MILLIONE est un bel exemple de courage et de malice artistique, où un message politique peut se glisser dans un enrobage acidulé et sucré.
SCIPIONE L’AFRICANO (SCIPION L’AFRICAIN) de Carmine GALLONE – ITALIE/1937/N&B/ 83 mn
Durant la 2e guerre punique entre 207 av JC et 202 av JC, le Consul Scipion (Annibale NINCHI) se présente devant le Sénat de Rome et demande à ce dernier qu’il lui confie la province de Sicile, afin qu’il puisse reprendre la guerre contre Carthage, avec l’emphase et les manières d’un Mussolini à l’origine du projet cinématographique. Car c’est décidé, le Duce le souhaite, le cinéma doit devenir une arme de propagande qui, bien maîtrisée, peut-être d’une efficacité sans pareil.

Le hasard de tirage au sort donne satisfaction à Scipion qui, sortant du Sénat est ovationné par le peuple romain.
On se prépare dès lors à la guerre, les forgerons font travailler le fer et les vétérans nostalgiques et rêvant de revanche depuis leur défaite contre l’armée de Hannibal à Cannes, rejoignent les troupes qui se préparent à la campagne d’Afrique.
Hannibal quant à lui, s’ennuie à Bitrium. Ses soldats quant à eux, s’occupent à piller et s’emparent de la jeune Velia, patricienne romaine à la beauté glacée, qu’ils mettent en captivité avec ses serviteurs et son fiancé.
Tandis que Scipion chauffe ses troupes à son arrivée à Syracuse, à Cirta, Sophonisbe convainc son mari Syphax, roi de Numibie à rejoindre les rangs de Carthage contre les romains. Des deux côtés, les armées enchaînent les victoires au fil des batailles, jusqu’à la rencontre décisive. L’un rêve de prendre Rome, l’autre Carthage. Véla et son fiancé eux, réussissent à s’enfuir et rejoignent le second, Scipion, la veille de la fameuse bataille de Zama.

Nous sommes en 202 av JC. Les deux armées se font faces, les deux chefs de guerre sur leur monture, observent chacun de leur côté, une dernière fois, cette terre vierge séparant les deux armées où l’Histoire décidera de son vainqueur. Scipion sur son cheval blanc, Hannibal, sur sa monture noire. Le premier s’adresse une dernière fois à ses soldats avant l’ultime charge décisive.
Les troupes se jettent l’une sur l’autre, dans une violence pleine de bruit et de fureur. Les éléphants d’Hannibal qui avaient tant surpris les légions romaines déstabilisent une nouvelle fois l’armée de Scipion mais ces derniers portés par un désir de revanche poussent à la déroute l’armée carthaginoise. Hannibal finit par s’enfuir. Scipion rentre à Rome avec tous les honneurs qui lui sont dû, celui qui a su laver l’affront des romains à Cannes. Mais bien qu’il ait gagné sa place au Panthéon des grands hommes, il préfère retrouver au plus vite son épouse et sa famille, car Scipion est un homme qui a su rester simple.

Film ambitieux, mais boîtant entre les faits historiques – retranscrits ici avec des moyens incroyables – et une fiction si évanescente que si elle avait été coupée au montage, il est peu probable que cela aurait été remarqué. Peut-être le long métrage souffre-t-il de vouloir respecter l’Histoire tout en l’ancrant dans l’actualité politique au moment où il se tourne. Mussolini, soucieux d’utiliser le 7e art et cette histoire particulièrement qui se prête parfaitement pour influencer le peuple et justifier ses ambitions d’expansion territoriales en Ethiopie. Qu’y a-t-il de mieux pour séduire le peuple afin qu’il cède à vos ambitions, que de draper cette volonté colonialiste d’une vertu que seule l’histoire vu des vainqueurs peut accréditer ?
Malgré ses tunnels de dialogues pompeux, et faussement incarné, SCIPIONE L’AFRICANO impressionne par ses moyens (une foule de figurants digne d’une œuvre de Cécil. B de MILLE), des décors époustouflants et une scène de bataille finale impressionnante (interprétés par 10000 fantassins, 1000 cavaliers et 30 éléphants) qui inspire encore le cinéma moderne : LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Peter JACKSON – 2001 à 2008 – et SAMRAT PRITHVIRAJ de Chandrapakash DWIDED – 2022.
Luigi FREDDI, directeur de la cinématographie, fera la remarque que SCIPIONE L’AFRICANO est plus un film de divertissement qu’une instruction sur un moment d’histoire : le blockbuster serait-il né au moment de sa sortie ? L’esprit peut être, le film ayant été un échec commercial. Mussolini dira lui-même de l’acteur que si Scipion avait autant de charisme, il eut été peu probable que ce dernier ait gagné des batailles. Pour ne pas humilier le Duce, le film obtiendra à la Mostra de Venise de 1937, la Coupe Mussoline pour le meilleur film italien. Mais le cinéma qui s’inspirait de l’Antiquité cessera quelques temps son exploitation de faits historiques, au point que SCIPIONE L’AFRICANO sera le seul dans ce genre, durant la période fasciste.
OSSESSIONE (LES AMANTS DIABOLIQUES) de Luchino VISCONTI – ITALIE/1943/N&B/ 140 mn
Au bord du Pô, un homme arrive à une auberge au fil de son errance. Cette dernière est tenue par un couple marié. Le patron, plus âgé, est un homme qui ne semble voir le mal nulle part, pas plus qu'il ne voit l’ombre se trouvant à ses pieds, gouailleur, ventripotent, il fait mine de ne pas remarquer la tension sexuelle, l’attirance entre cet inconnu à la beauté magnétique et sa jeune épouse, Giovanna (Clara CALAMAI) qui au quotidien, tandis qu’elle s’échine à la tâche pour entretenir l’auberge, rêve d’une meilleure vie, d’un meilleur amour, où les sens seraient un peu moins émoussés.
Giovanna, pour couper court à tout soupçon, accuse l’inconnu d’être parti sans payer son repas. Le mari s’empresse de le rattraper mais voyant que le jeune homme n’a rien de plus que ses vêtements sur lui, lui propose de travailler pour rembourser sa dette. Ce dernier se révèlant bon mécanicien, le patron lui propose donc de le garder en échange du gite et du couvert. Mais ce dernier s’offrira quelques extras tandis que l’aubergiste aura le dos tourné.

Une relation s’établit entre Gino (Massimo GIROTTI) et Giovanna, se resserre au fil des absences de Giuseppe, d’une passion folle au point qu’elle inspire aux deux amants le projet de fuir pour vivre pleinement leur amour. Mais Giovanna, marquée par la pauvreté qu’elle a connu avant de se marier hésite, et retrousse chemin un bel après-midi alors que tous deux se dirigent vers la gare, pour retrouver son confort matériel, laissant seul Gino avec rêves à quelques mètres de la gare ferroviaire.
Dans le train, sans billet, il est sauvé par un forain qui lui paie son billet pour lui éviter l’amende, une amitié se tisse au point que tous deux feront ensembles la tournée des foires pour gagner leur pain.
Mais il est du destin comme des chats, il se joue de nous comme avec une pelote : Gino croise le couple lors d’une fête foraine tandis que Giuseppe s’apprête à participer à un concours de chants d’opéra. Tandis que le mari chante sur scène et emporte son public, les deux amants se retrouvent, leur rêve se ravive et ils se font la promesse d’aller cette fois jusqu’au bout, même si cette extrémité est au prix de la vie de Giuseppe qui sera maquillé en accident de la route.
Mais l’acte pèse sur la conscience de Gino qui suspecte Giovanna de l’avoir peut être manipulé pour simplement toucher l’assurance vie de son mari…

1943. La censure règne toujours sur l’Italie fasciste, mais l’embourbement du pays dans le conflit mondial desserre les mailles. Adaptation non officielle d’un roman américain de James CAIN, Le Facteur sonne toujours deux fois, l’histoire est adaptée au contexte italien moderne pour qu’elle colle au mieux à la réalité sociale que le pouvoir et ses affidés se refusent de percevoir et de mettre en lumière.
OSSESSIONE tranche par son réalisme, le cordon des films aux Téléphones Blancs. Fini les comédies de mœurs légères et bourgeoises, dans cet imaginaire sans emprise dans le réel. Ici, les protagonistes sont des travailleurs qui suent sous l’effort et les rayons ardent du soleil, la pauvreté n’est pas caricaturale, le désir n’est pas une lubie de l’esprit, mais une attraction des corps, et les cœurs peuvent battre à l’unisson comme les corps s’enlacent – bien qu’encore hors champs. L’Eglise même est moquée, le curé ne semble motivé que par la gourmandise et la soif, et quand il évoque les pêcheurs c’est avec l’envie de faire une belle prise dans le Pô. Même la prostituée a des allures de sainte, du moins d’une femme lumineuse et bien plus pure dans ses motivations que cette femme mariée adultère, criminelle et jalouse.

Film courageux, moderne, il symbolise une rupture dans l’Histoire du cinéma italien, où la fiction rentre en collision avec le réel, épouse ses formes comme une seconde peau. Mario SERANDREI, attelé au montage à Rome pour déjouer la censure écrira d’une encre verte à Luchino VISCONTI qu’il ne considérait pas plus le film qu’il faisait comme un simple film, mais comme un emblème d’un nouveau cinéma qui aurait pu s’appeler « néo réalisme ». Un style est né. La critique, elle, toujours en phase avec le cours de l’histoire, détestera et sera sans pitié. Mais comme toujours, les œuvres restent tandis que les critiques sombrent dans l’oubli.
OSSESSION est aussi un film audacieux. Il suffit de surprendre la tension sexuelle entre le forain Espagnol, Gino, partageant la même chambre pour des raisons économiques, et entendre le premier dire au second après qu’il se fut lamenté sur son sort qu’on ne croise pas seulement des femmes que l’on peut aimer sur la route, pour prendre en pleine face cette tension homosexuelle qui ne dit pas son nom entre les deux hommes.
D’ailleurs Gino n’est-il pas plus qu’un simple anti-héros, mais un être trouble et magnétique qui suscite ce que l’autre ne peut avoir (la femme mariée et le forain, un amant, la prostitué, un amour). Beauté brute et innocente, aux yeux clairs dans lequel il est risqué de s’y plonger. Des yeux songeurs, rebelles, qui lors d’une scène finale, versera ses larmes sur son rêve brisé d’une vie meilleure, à jamais révolue.
ROMA CITTÄ APERTA (ROME VILLE OUVERTE) de Roberto ROSSELLINI – ITALIE/1945/N&B/ 97 mn
Hiver 1944-45, la Seconde Guerre Mondiale vit ses dernières heures. L’Italie est assaillie par tous les fronts, au sud par les forces alliées, au nord par les Allemands. Ces derniers oublient leur dû au mouvement fasciste italien et se considèrent comme occupant d’une nation moribonde, épuisée, vaincue. Mais une partie des Italiens résistent, mettant de côté comme en France, leurs oppositions idéologiques : prêtres, ouvriers, ingénieurs, intellectuels, fonctionnaires, femmes et hommes se rassemblent pour lutter contre ce nouvel oppresseur qui les enfonce plus encore dans la misère au quotidien
Pina, jeune mère et veuve, malgré les tourments de l’époque, souhaite refaire sa vie avec Francesco qui est déjà considéré par son fils Marcello, comme un père. Le bonheur est résilient et peut même fleurir sur le purin de la misère.

Francesco est typographe, et participe à l’impression du journal de la Résistance, et s’implique dans une cellule chassée par la Gestapo. Celle-ci est menée par Manfredi, ingénieur, et bénéfice de l’aide du Père Don Pietro. Ce dernier alterne entre son rôle de berger le jour, prêchant l’Amour du Christ, et la Résistance la nuit.
Un jour, Francesco et Manfredi sont arrêté par la Gestapo. Francesco ne perdra pas juste la liberté mais aussi la femme qu’il aime, dont les cris s’éteignent sous les rafales allemandes lorsqu’il est embarqué, ainsi que les pleurs de son fils adoptifs. Une bande de mômes rejoint par Marcello font les quatre-cents coups, portés par des rêves d’héroïsmes et de liberté au point de provoquer quelques dégâts matériels contre l’armée occupante. Francesco et Manfredi seront fort heureusement libéré par leur compagnon de lutte lors de leur déplacement et se réfugient chez Marina, la petite amie de Manfredi. Celle-ci n’est pas que désespérément amoureuse d’un homme plus préoccupé par la mission qu’il s’est donnée que par les charmes et les promesses d’une passion fugace, elle est aussi cocaïnomane. Fricotant avec les gradés de l’armée de l’Occupation pour survivre tout en conservant son confort matériel, tiraillée entre sa passion à sens unique, ses tourments et son état de manque, elle fini par dénoncer ce qui est pourtant, l’Amour de sa vie.

Un mot, une faiblesse, et des mondes s’effondrent.
La Gestapo ne perd pas de temps à les retrouver. Francesco réussi à s’évader, Manfredi et Don Piedro sont eux arrêtés.
Manfredi succombera sous la torture sans lâcher le moindre mot, Don Pietro maudira ses tortionnaires tandis que Marina, ivre et tenant le coude d’un officier allemand, découvrira le corps de son amant et s’effondrera de chagrin.
Don Pietro sera lui fusillé le lendemain, devant les yeux de cette bande d’enfants aux quatre cents coups, perdant là, à jamais, leur innocence.
Film charnière pour les historiens du cinéma. Bien que non documentaire, ils s’inspirent de faits et de personnages réels – Don Pietro est inspiré de Don Morosini, figure de la Résistance italienne. Mais l’extrême proximité de la caméra, l’histoire, les acteurs, le quotidien des romains émergeant à peine de l’Occupation et du conflit, entraînent le spectateur dans la posture d’un témoin impuissant, devant ces êtres communs qui pris tout à coup sous le faisceau de l’Histoire, brillent comme des étoiles pour mieux s’éteindre dès que celui-ci s’éloigne, écrasés, broyés, absorbés par les ténèbres.
Tournage commando, puisque souffrant de la pénurie de matériel et de quelques disputes intestines qui n’est pas sans apport dans son aspect (néo) réaliste de l’atmosphère du film. On raconta que le film fut mal accueilli : bien au contraire. Il fut invité au premier festival de Cannes d’après-guerre, en 1946 et les Etats Unis lui fit aussi bon accueil. Seuls deux pays le censurèrent, jusqu’aux années 60 : l’Allemagne et l’Espagne. Pas la peine de tergiverser trop longtemps pour deviner pourquoi…
I MISERABILI (L’EVADE DU BAGNE) ou MISERABILI 1 : CACCIA ALL’UOMO & MISERABILI 2 : TEMPESTA SU PARIGI (L’EVADE DU BAGNE 1 : CHASSE A L’HOMME & L’EVADE DU BAGNE 2 : TEMPÊTE SUR PARIS) de Riccardo FREDA – ITALIE/1947/N&B/ 188 mn
C’est dans un taxi, en compagnie de trois amis, que Riccardo FREDA se fixe le projet d’adapter l’un de ses romans préférés, Les Misérables de Victor HUGO – bien que ces derniers estiment impossible une adaptation fidèle de cette œuvre. Mais Riccardo FREDA étant en veine après le succès de son dernier film, AQUILA NERA (L’AIGLE NOIR ), entretient de très bonne relation avec le producteur Riccardo GUALINO qui n’hésite à accepter le projet. Malgré quelques changements notables par rapport au roman, le film est si dense qu’il sortira en deux parties, avec une semaine d’écart.

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Première partie : Jean Valjean, incarné par Gino CERVI, vole du pain et se fait arrêter et envoyer au bagne. Ce qui devait être « que » 5 ans de peine, au fil de ses différentes tentatives d’évasion, finira en 18 ans d’incarcération. Ayant purgé sa peine, il sort enfin mais où qu’il aille, on ne cesse de lui rappeler qu’il est un brigand qui, bien qu’il ait plus que payé sa peine à la société, lui reprochant toujours d’avoir fait un choix seulement motivée par la misère et la faim. Alors qu’il se fait une raison, il est accueilli par l’évêque de Digne qui lui ouvre ses portes et lui fait confiance. Malgré tout, les candélabres précieux qui croisent le regard de Jean Valjean auront raison de sa colère et de son désespoir, il les volera la nuit même. Mais à peine prend il la poudre d’escampette, qu’il est attrapé par les gendarmes qui le ramènent à l’évêque, peu convaincu des explications du forban. Mais ce dernier le confirme, permettant à Jean Valjean de partir libre et de refaire sa vie, convaincu que ce vol apportera du bon.
Des années plus tard, Jean Valjean, sous une nouvelle identité, tient une entreprise ainsi qu'un représentant du peuple. Bien que l’on sache peu sur lui, il est apprécié par les notables et ses ouvriers. Mais Javert, l’homme qui l’a connu bagnard continue à le chercher, fermement convaincu que Jean Valjean reste toujours un voyou dont la seule place qui lui est due, est celle se trouvant derrière les barreaux.
Valjean sentant Jabert prêt à le découvrir, décide de s’enfuir, mais il se doit avant toute chose de tenir sa promesse vis-à-vis de Fantine, cette femme dont il considère qu'il a une dette, licenciée sans qu’il le sache pour être une mère célibataire par une ouvrière en chef un peu trop zélée, mourant dans la misère après s’être prostituée pour survivre et éduquer sa fille, Causette, laissée chez les Thénardier.

Seconde partie : 14 ans ont passé, Jabert et sa menace sont loin, Causette considère Jean Valjean comme son père et garde un vague souvenir de sa mère dont elle conserve pourtant les traits (Valentina CORTESE). Ils ont pris une nouvelle identité, les Leblanc, et vive dans le confort mais surtout dans la plus grande discrétion possible. Mais un soir, Causette, qui n’est plus l’enfant qu’il libéra des griffes des Thénardier, croise par un heureux un hasard, Mario, alors que celui-ci, fuyant la police, s’est introduit chez les Leblanc. L’amour surgit dans l’instant même où leurs regards se croisent, ce qui n’est pas au goût de Jean Valjean. Paris traverse une nouvelle fièvre révolutionnaire, ne supportant plus la monarchie de Juillet et sa tyrannie. Souhaitant rencontrer Mario et lui demander de cesser de voir Causette, Jean Valjean tombe sur l’aubergiste qui loue la chambre de Mario absent, Thénardier, qui ne tarde pas à reconnaître l’homme à qui il a vendu Causette et qui semblait être recherché par la police, 14 ans plutôt.

Le projet est audacieux de mettre en scène une œuvre aussi littéraire et puissante que celle de Victor HUGO, le pari sera réussi même si le film prend quelques libertés et se soulage de certains aspects moraux et religieux. Il n’en reste pas moins spectaculaire au point que les péripéties s’enchaînent sans temps morts. Des tentatives d’évasion de Jean Valjean, de la poursuite dans Montreuil des gendarmes, des scènes de l’insurrection de 1832 dans un Paris reconstitué, le film conserve un rythme effréné qui donnerait encore la leçon à nombres de films contemporains.

Parmi les acteurs interprétant les révolutionnaires, on croise un jeune Marcello MASTROIANNI qui ne tardera pas à occuper les articles à venir.
Le film fera 6,8 millions d’entrées rien qu’en Italie. En France, il faudra attendre presque 6 ans pour qu’il sorte en salle, tronqué de 78 minutes sans que Riccardo FREDA ne fût concerté…
IL DELITTO DI GIOVANNI EPISCOPO (LE CRIME DE GIOVANNI EPISCOPO) d’Alberto LATTUADA – ITALIE/1947/N&B/ 85 mn
Giovanni Episcopo (Aldo FRABIZI, Don Pietro Pellegrini dans ROMA CITTA APERTA (ROME VILLE OUVERTE) est un homme sans le moindre intérêt, un simple fonctionnaire travaillant aux archives d’état, vieux célibataire vivant dans une chambre avec son serein et sa tortue. Les jours se ressemblent malgré les saisons et quand il n’est pas sur ses archives, il lit très certainement dans cette chambre, chez cette famille bienveillante, éludant la tendre passion de la fille qui rêverait de porter son patronyme. Ayant touché un héritage, Giovanni se fait un petit plaisir et s’offre un beau costume et un beau chapeau et s’en va se promener. Dans sa balade, il s’arrête devant un cabaret et regarde par la fenêtre le spectacle mais est entraîné par des collègues qui le croise. Là, il rencontre un certain Giulio Wanzer (Roldano LUPI), bellâtre aventurier, avec qui il se lie d’amitié. Une amitié un peu intéressée puisque Giulio découvre dans la poche du manteau, que Giovanni a une certaine somme sur son compte bancaire qu’il espère bien profiter.

La relation établi, l’escroc n’aura pas mal à convaincre Giovanni de changer de pension de famille, plus à la hauteur, selon lui, des qualités de son ami. Une pension où il fait bon vivre, surtout quand on croise la fille de la patronne qui fait bouillir les cœurs de tous les hôtes, Ginevra (Yvonne SANSON), maîtresse de de Wanzer.
Giovanni est chahuté lors de son premier repas, qui se termine en parodie de mariage entre lui et la jeune femme, mais ce qui était une plaisanterie s’apparente plutôt à un piège tendu par Wanzer.
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L’homme humilié, écrasé par la société dans une agonie silencieuse, c’est un peu le sujet d’Alberto LATTUADA. Cette histoire d’un homme commun, transparent, cette ombre, ce rouage de l’administration dont Alberto LATTUADA en avait horreur, dit-on, peut faire écho avec son film futur, IL CAPPOTTO (LE MANTEAU, inspiré d’un texte de Gogol), d’ailleurs il semble qu’IL DELITTO DI GIOVANNI ESPISCOPO tire aussi son inspiration du cinéma allemand (L’ANGE BLEU de VON STERNBERG et LE DERNIER DES HOMMES de MURNAU), bien qu’il soit une adaptation d’un roman de l’auteur italien Gabriele D’ANNUNZIO. Un homme discret, sans lien social, juste motivé par son travail quotidien dont aucun homme ne pourrait tirer la passion nécessaire pour une vie épanouie, se retrouve à ressentir un sentiment amoureux pour une femme qui n’est aucunement faite pour lui, le promettant au calvaire de ceux et celles qui se trompent de chemin mais qui pourtant, s’obstinent, comme pour se prouver qu’il leur est possible de vivre une vie totalement étrangère à celles qui leur est destinée. Aldo FABRIZI interprète de manière touchante, cet homme apathique, qui subit la trahison, d’un homme qu’il considérait comme un ami mais qui ne s’intéressait qu’à son argent, d’une femme volage. Et pourtant, ce sacrifice, lui offrira la douceur de connaître la paternité et d’être peut-être, un père bien plus moderne que ceux réservés à son époque. Un père aimant, prêt à remplacer la mère absente, qui sera prêt à transgresser le tabou ultime, pour le protéger.

L’introduction, quant à elle, surprend par son plan subjectif qui fait ressentir la condition de solitude du personnage chez le spectateur.
L’ONOREVOLE ANGELINA (L’HONORABLE ANGELINA) de Luigi ZAMPA – ITALIE/1947/N&B/ 90 mn
Rome, dans le faubourg de Pietralata, la famille Bianchi vit dans un habitat insalubre. La caméra s’introduit chez eux, tandis que les enfants dorment profondément, et surprend la conversation entre un mari et sa femme, séparés par le dernier qui peine à dormir. La conversation est celle, banale, d’une famille toujours en lutte pour la survie. Ils vivent dans un taudis et la faim est de ces invitées qui ne se fait jamais prier pour s'ajouter à leur table. Angelina (Anna MAGNANI, la veuve de ROMA CITTA APERTÄ – ROME VILLE OUVERTE) n’en peut plus de devoir subir ces injustices. Pourquoi vivre dans ce taudis alors que plus loin, les promoteurs terminent des HLM subventionnés par l’Etat, certes fasciste, mais qui profitera désormais à la classe moyenne, depuis la fin de la guerre ? Pourquoi devoir ronger son frein quand l’épicier se met de côté ses marchandise pour le marché noir, bien plus profitable ?

Pourquoi devoir se priver d’eau courante ou d’arrêt de bus, au prétexte que l’administration en aurait décidé ainsi ? Angelina, devient au fil de ses actions et de ses discours, un symbole pour ses voisins et amies, une porte-parole, un espoir incarné pour ces familles souffrant la misère au quotidien, au point que les partis, communiste et même royaliste cherche à l’intégrer dans leur camp. Mais Angelina est une femme libre, même son mari, brigadier, et qui souffre de voir sa femme porter un manteau autre que son tablier de femme au foyer, n’est pas capable de contenir sa révolte.

Angelina, poussée par ses camarades, mis sur un piédestal par la presse toujours en quête d’héros, est à quelques pas de rejoindre l’assemblée – d’où le titre, ONOREVOLE, dans le sens honorable dédiés aux députés. Mais cet univers, bien qu’ils soient plus policés, n’en est pas moins plus dangereux et fourbe, et la turpitude des spéculateurs et autres escrocs, auront bien raison de sa flamme révolutionnaire.

Luigi ZAMPA trace le portrait d’une femme extraordinaire, décidant de cesser de baisser l’échine. Une femme simple, qui a cet art très latin de dire ce qu’elle a sur le cœur, et de convaincre. Une femme moderne, qui n’hésite pas à recadrer un mari incarnant l’autorité, lui brigadier discret qui ne sait quel uniforme tenir, celui du policier ou de l'homme du foyer en absence de celle-ci, trop occupée à monter son parti politique. Un film néo réaliste car il montre un état de la misère romaine, mais avec une colère et une ironie cristallisante : bien qu’Angelina incarne des espoirs de ses voisins, ces derniers ne manqueront pas de la rejeter, prise au piège par des politiques et des industriels qui n’ont sûrement de la moraleque pour eux-mêmes. Luigi ZAMPA nous dit peut-être que même un combat noble, est peut-être une erreur s’il est au prix d’un amour et d’une famille.
LADRI DI BICICLETTE (LE VOLEUR DE BICYCLETTE) de Vittorio de SICA – ITALIE/1948/N&B/ 85 mn
Rome, quartier de Val Melaina, Antonio Ricci, comme nombre de ces compatriote, galère au quotidien. Marié, père de deux enfants, il ne trouve pas de travail. L’Italie est encore meurtrie par la Guerre, et les hommes font la file d’attente pour ne serait-ce que trouver un petit boulot pour la journée. Mais, un jour, la chance lui sourit, avec une possibilité d'embauche lui garantissant un revenu stable, essentiel pour se projeter dans l’avenir et sortir de cette misère : on lui propose de commencer dès le lendemain comme colleur d’affiche. Il accepte sans hésiter, même si un gros problème se présente à lui, puisque son vélo est au Mont de Piété. Sa femme l’aide et sacrifie des draps de bonnes qualités qui lui sont chers, pour qu’Antonio récupère son vélo. Maintenant qu’Antonio à trouver un poste et que son fils Bruno, 7 ans, travaille à une station de service, les jours misérables ne seront bientôt que de mauvais souvenirs.

Bien évidemment, Maria, sa femme, se donne beaucoup aussi dans l’éducation des enfants même si elle à cette petite faiblesse qu’Antonio essaie de raisonner, d’aller un peu trop souvent à son goût chez une voyante. Après tout, quand on n’est plus capable de voir au-delà de la journée qui passe, que le travail de nos mains ne suffit pas à déchirer le brouillard de l’incertitude, n’est-il pas tentant de consulter une personne qui a le don de voir ll'avenir, vous prévenir des embuches, vous confirmer dans vos choix ?
Le lendemain, c’est un Antonio nouveau qui sort de chez lui avec son fils Bruno de 7 ans qu’il dépose à la station de service. Ce n’est plus un pauvre chômeur aux épaules tombantes et à la démarche trainante mais un cavalier sur sa monture, vêtu de sa belle cotte de travail et la casquette vissée sur le crâne, tandis que le soleil se lève sur Rome et que la ville s’éveille.
Alors qu’il colle une de ses premières affiches, où une Rita Hayworth apparait peu à peu, un jeune homme aidé d’un complice s’empare du vélo et s’enfuit dans la circulation. Antonio a beau le poursuivre, sauter sur le rebord d’une voiture et demandé au chauffeur de suivre le voleur, celui-ci se confond dans la foule, emportant avec lui tous ses espoirs d'une vie un peu meilleur que son actuel quotidien.
C’est abattu, qu’il rentre, honteux de devoir présenter la situation à sa femme, ses enfants, particulièrement à Bruno qui a cet âge où l’on regarde encore son père comme un Dieu. Quel exemple offre-t-il à son fils ?
Le lendemain, accompagné de son fils et deux amis, il s’en va retrouver son bien et le voleur. Mais ils ont beau faire le tour des marchés, des rues et quartiers, ils ne trouvent rien. Mais alors qu’il se dirige vers le marché de Porta Portese, il surprend le jeune voleur s’entretenant avec un mendiant. Le premier s’enfuyant il rattrape le mendiant et ne le lâche pas jusqu’à ce que celui-ci lui donne l’identité de ce jeune homme qu’il désespère de retrouver.

Depuis DARÒ UN MILIONE de Mario CAMERINI, en 1935, une amitié s’est tissée entre Vittorio de SICA, l’acteur, et Cesare ZAVATTINI, le scénariste. Ensemble, ils feront quelques films dont SCIUSCIÀ en 1946, qui obtint l’Oscar du meilleur film étranger l’année d’après. LADRI DI BICICLETTE est l'adaptation d'un roman de Luigi BARTOLINI. Malgré l’Oscar obtenu du meilleur film étranger, de SICA peine à trouver un financement auprès des studios pour son nouveau film : à croire que les autorités et la bourgeoisie n’apprécient guère cette réalité qui nourrit ses œuvres et pourtant si appréciée à l’étranger. Il décide donc de financer lui-même son film, avec l’aide d’amis. Son souhait est de montrer la misère et le chômage de l’Italie d’après-guerre, tout en respectant les règles du cinéma néo réaliste (acteurs non professionnels, tournés en extérieur, lumière naturelle), et le roman de Luigi BARTOLINI est parfait pour cela. Tout d'abord, il lui faut trouvé son acteur (qui aurait pu être Gary GRANT imposé par David SELZNICK s'il avait accepté l'aide du producteurs lors de ses recherches de financements aux Etats Unis). Son choix se porte sur un parfait inconnu, ouvrier d’usine, Lamberto MARGGIORANI qu’il rencontre lors d’une audition pour son fils pour tenir le rôle de Bruno. Quant à l’enfant qui jouera son fils Bruno, DE SICA croise lors de ses repérages un petit gars nommé Enzo STAIOLA qui vend des fleurs avec son père dans les rues de Rome.

Se déroulant sur un long weekend, entre le vendredi et dimanche, dans les rues de Rome, on suit ces deux héros d’infortune dans une odyssée pathétique, traversant les différentes facettes de l’Italie à l’économie encore affectée par la seconde guerre mondiale : misère, chômage, délinquance, mendicité, marché noir, religion, sport, croyance, un portrait d’un pays blessé en cours de soin, nous est présenté, une dure réalité qui ne veut pas être vu, à travers le regard d’un petit garçon aimant, courageux, capable de tout pour aider son père dans sa quête. Des scènes magiques vous restent à jamais en mémoire, comme lorsqu’Antonio croit son fils en train de se noyer, où lorsqu’il invite celui-ci au restaurant et réalise qu’il ne peut même pas offrir un plat comme la famille de la table d’à côté. Mais surtout, ce qui finit par faire verser nos larmes, c’est quand le petit Bruno s’empresse de se jeter sur son père mal mené par une foule en colère, après qu’il ait été pris à voler une bicyclette lui aussi.
LADRI DI BICICLETTE (LE VOLEUR DE BICYCLETTE) souffre d’une erreur (consciente ou non) de traduction, puisque le titre d’origine en italien évoque "voleurs" au pluriel : peut-être que l’Italie d’après-guerre souffre de voleurs de bicyclettes, puisque la misère les y force.

Joyaux du cinéma néo-réaliste et du cinéma tout simplement, il est considéré comme un des plus beaux classiques et tient sa place dans les 10 plus beaux films de l’Histoire du Cinéma. Un cinéma qui parle au cœur, tant à travers la pure interprétation des acteurs soulagés de la moindre technique, de cette mise en scène épurée aussi, où l’accident de la vie apporte ce petit plus qu’aucun studio ou plateau ne peut apporter.
Malgré la qualité du long métrage (qui sera aussi reconnu une nouvelle fois aux Etats-Unis puisque Vittorio de SICA obtiendra un nouvel oscar du meilleur film étranger) le film est peu apprécié en Italie : la bourgeoisie lui reprochera son misérabilisme, les communistes, eux, lui reprocheront de n’apporter aucune solution au problème de la misère.
Un film qui exercera une influence sur l’Histoire du cinéma : Sergio LEONE n’est pas encore connu et tiendra le poste d’assistant réalisateur pour ce film – et tient le rôle d’un séminariste –, et, durant le tournage de la scène où Antonio, Bruno et les amis du père partent rechercher la bicyclette au lever du jour, un jeune adolescent va assister au tournage, et si absorbé par l’activité et la magie qui s’opère, en oubliera même d’aller à l’école : Ettore SCOLA qui dédiera notamment C’ERAVAMO TANTO AMATI (NOUS NOUS SOMMES TANT AIME) à Vittorio DU SICA en 1974, année du décès de dernier.
IN NOME DELLA LEGGE (AU NOM DE LA LOI) de Pietro GERMI – ITALIE/1949/N&B/ 101 mn
Guido Schiavi (Massimo GIROTTI) est un jeune juge idéaliste, envoyé de Palerme à Capodorso, une petite ville Sicilienne, que la loi d’Etat ne semble pas réussir à pénétrer, tant les coutumes ancestrales et la mafia ont une emprise sur le territoire. Effectivement, ce jeune juge rencontrera des moments difficiles : un maréchal des carabiniers qui parait toujours sortir d’une sieste, débraillé – et ses deux ou trois hommes qu’on ne croisent jamais, qui peine à appliquer la loi, un Baron sans scrupule, qui s’appuie sur la Mafia pour taire la colère des ouvriers et des paysans, des notables tous aussi lâches les uns que les autres et puis, cet homme, Passalacqua (Charles VANEL), chef des mafieux ayant son propre code d’honneur. Peut-être Paolino est un soutien non négligeable, à travers son innocence et son amour pour la jeune femme Bastianedda, bien que celle-ci soit convoitée par l'un des hommes de main de Passalacqua et que sa mère veut forcer à épouser, juste pour son confort.

On dit de ce film qu’il marque une date dans l’histoire du cinéma italien : non parce qu’il est le premier film tourné en Sicile, déjà quelques films se sont faits, notamment LA TERRA TREMA : EPISODIO DEL MARE (LA TERRE TREMBLE de Luchino VISCONTI en 1948), mais parce qu’il traite pour la première fois de la Mafia. Bien que celle-ci ait imprégnée depuis des siècles dans l’Italie, Pietro GERMI décide, à travers l’adaptation du roman Puccola Pretura de Giuseppe Guido LO SCHIAVO sorti un an plutôt. Mais plus encore, on sent une œuvre séminale qui donnera lieu naturellement à l’émergence d’un genre en soi, le western qui sera surnommé western spaghetti et transcendé par Sergio LEONE.
Pietro GERMI, né à Gênes, se destinait à la Marine marchande, mais il ne se présenta jamais à l’examen malgré ses très bonnes notes : bien lui en a pris. Quelques années plus tard, il s’installe à Rome et s’inscrit au Centro Sperimentale di Cinematografia. Là, il découvre le film noir américain – Dont celui de Jules DASSIN – et le western de John FORD. L’Institution étant reconnu pour moins donner de cours que des projections de films pour que ses étudiants apprennent le métier. IN NOME DELLA LEGGE est imprégné de ces influences, il suffit de voir ces plans de ce paysage croulant sous un soleil brulant et ses cavaliers apparaitre du sommet d’une colline, galopant avec leur fusil accroché à l’épaule : l'imaginaire du western est là. Mais ce n’est pas un film qui cite, non plus, mais plutôt un film qui se nourrit de ce qui a été assimilé par passion, qui retranscrit au mieux, dans une forme néo réaliste, la dénonciation des abus du pouvoir bourgeois qui, sans scrupule, use de la Mafia comme d’une police permettantimposer l’ordre qui arrange ses affaires. Sans aucun doute, si ce scénario – écrit à plusieurs mains, notamment par Mario MONICELLI et Frederico FELLINI – avait été tourné aux Etats Unis, il aurait été un western classique. Mais ici, c’est bien l’âme d’une Sicile, un monde à part, subissant encore des traditions et des coutumes que le monde « moderne » peine à comprendre et à dominer. Mais plus encore du cinéma de John FORD, où l’individu peut être capable de sensibiliser la communauté, la révéler, la pousser à se dépasser.

La fin est discutée et discutable, puisque le chef mafieux accepte que la loi d’Etat prédomine sur la loi de la mafia : est-ce pour dénoncer que la mafia n’est que le fruit d’un arbre pourri, qu’au fond, l’honneur et la loi sont de la même sève ? Que le capitalisme est avant tout le système nuisible pour l’humanité ? Ou, plus prosaïquement, parce que tout tournage qui se fait et se fera sur la Mafia, est surveillé par l’organisation elle-même et que déjà aborder son existence et son pouvoir suffisent pour le moment ? Ou tout simplement à la censure très puissante qui ne pouvait accepter une autre loi puissante que celle de l’Etat ?
Pietro GERMI ne sera jamais reconnu pour son talent par la critique, commettant l’erreur de s’épanouir dans la comédie, genre sous-estimé depuis toujours – et encore aujourd’hui. Et pourtant, nombreux sont les experts en cinéma pour rappeler son talent et la qualité de son œuvre.
IL CAPPOTTO (LE MANTEAU) de Alberto LATTUADA – ITALIE/1952/N&B/ 103 mn
Carmine de Carmine est un employé de bureau discret, il s’applique toute la journée à faire de belles lettres sur des documents officiels qui ne seront très certainement jamais lus, pendant que ses collègues s’adonnent la plupart du temps à leurs activités personnelles jusqu’à ce que le chef de service passe une tête dans leur bureau, ce qui les obligent tout à coup à reprendre leur tâche à laquelle ils sont payés.
Carmine de Carmine n’a pas beaucoup d’ambition. De sa fenêtre il lui arrive de regarder sa voisine se déshabiller et rêver d’être bien plus que ce qu’il n’est actuellement. Peut-être que le manteau qu’il rêve de s’offrir pourrait lui apporter ce qui manque en lui pour s’affirmer et être accepter par ceux dont il aimerait être remarqué, ces notables qui semblent savoir apprécier les choses merveilleuses de la vie.

Un mal entendu, et le voilà bénéficiant d’une petite prime qui lui permet enfin de réaliser son rêve, et c’est un manteau magnifique qu’il porte désormais sur lui, qui suscite le respect autour de lui, au point d’être convié à une soirée mondaine où, bel hasard de la vie, il y croise sa voisine qui n’est qu’autre que la maîtresse du Maire, son grand patron.
Mais sur le chemin du retour, aviné, titubant, en traversant le pont qui le sépare du centre et de son quartier, il se fait agresser par un inconnu qui lui vole ce qu’il a de plus précieux et dont il a si peu profité de la fierté de posséder : son manteau.
Fou de douleur, désespéré, il s’en va rechercher celui-ci, au point de mourir de froid…
Alberto LATTUADA a toujours eu une tendre passion pour la littérature russe, la nouvelle de GOGOL qu’il adapte en y ajoutant sa propre touche convient en de nombreux point. D’abord, on y parle d’un employé qui rêve de posséder une chose qui pourrait, selon lui, lui apporter ce qui manque à sa totale réalisation, un manteau qui en effet, aura un pouvoir sur lui et sur les autres. Les regards changeront à son égard et sa démarche se fera plus assurée, guillerette et insouciante. Elle y dénonce aussi l’administration que LATTUADA a en horreur : inertie, lenteur, où selon lui, seul 20 personnes sur 100 travaillent, les 80 autres se laissant aller sur les efforts des 20 laborieux. La nouvelle part d’une réalité quasi naturaliste pour tendre vers une forme de fantastique, Alberto LATTUADA partira lui aussi d’un style néo-réaliste de début de film vers une forme de surréalisme fantastique.
Pour qui a vu IL DELITTO DI GIOVANNI EPISCOPO (LE CRIME DE GIOVANNI EPISCOPO) tourné en 1947, on peut y voir des échos – voire sur certains points, des obsessions – tels que l’univers du héros et son quotidien : un employé dans une administration vivant dans une chambre louée, sans amis et moqués, chahuté par ses collègues, envieux et immatures affectivement. Yvonne SANSON est aussi là, moins présente que dans le long métrage de 1947, mais tout autant magnétique, tel un fruit défendu. Ici Carmine de Carmine (interprété par Renato RASCEL) obtiendra tout au plus une danse dans une soirée mondaine, avant sa chute. Mais ce qui démarque les deux films, est ici l’humour. Un humour surréaliste, un homme qui sorti de sa fonction où il excelle, devient gauche. Etonnant ce choix d’acteur, un Renato RASCEL plutôt connu pour ses jeux de mots et ses sketchs populaires, est ici une sorte de Charlie CHAPLIN. Tous les personnages du film, en dehors de la maitresse du Maire, sont des caricatures d’eux-mêmes : le Maire est un tyran imbu de sa personne et ambitieux, le responsable du héros, passionné d’opéra, obséquieux avec les puissants, et tyran avec les faibles, admire Napoléon qui trône sur son bureau surélevé, assis dans son fauteuil dont les pieds ne touchent pas terre tant il est petit, les collègues de Carmine sont tous des tirs au flancs… Il y a aussi ce tailleur romain, haut en couleur, qui, si fier de son travail, suit en cachette son client à peine sorti de son atelier, pour admirer son œuvre.

Alberto LATTUADA rajoutera des scènes qui n’existent pas dans la nouvelle, telle celle du corbillard où le héros reçoit enfin les honneurs lors d’une journée mémorable pour la ville : et telle le sera-t-elle pour lui, même si cela est trop tard. Tout est une question d’habit dans ce film, qu’il soit en haillon, de laine ou de pin, les honneurs changent.
Et puis le film glisse peu à peu vers un fantastique émouvant, car une âme peut-elle seulement trouver la paix quand elle quitte notre monde dans une telle détresse ?
Une des particularités de ce film est qu’il est un des rares en Italie ayant été tourné avec une prise de son direct.
Le cinéma italien c’est avant toute chose la promesse de joie et de larmes entremêlées, avec en son sein, un message qui touche au cœur. IL CAPPOTTO ne fait pas excéption.
LA STRADA de Frederico FELLINI – Italie/1955/N&B/ 115 mn
Un forain, rustre, costaud, arrête son tricycle à moteur devant une vieille baraque située non loin de la plage, afin d’annoncer à une mère seule que sa fille Rosa est décédée. La mère propose alors, entre deux larmes, que Zampano (Anthony QUINN) emporte avec lui sa fille Gelsomina (Giulietta MASINA), une jeune femme un peu simple d'esprit dont elle ne tirera sûrement rien : autant donc qu’elle y gagne un peu d’argent tout en ayant une bouche en moins à nourrir.
Gelsomina découvre alors tout un monde, loin de ses terres et de sa plagee, en suivant cette brute de Zampano qui pour spectacle principale brise des chaînes à la seule force de ses pectoraux. Gelsomina apprend peu à peu le métier, et vit des instants magnifiques d’une grâce jusqu’alors insoupçonnée : un sourire d’un petit garçon handicapé alité dans une chambre que la famille s’efforce de cacher, l’amitié d’une bonne sœur qui lui offre l’occasion de rejoindre les ordres – se doutant peut-être de la brutalité de Zampano qui ne lui apportera rien de bon – et ce jeune funambule, Il Matto, tout aussi poète que magnifique lorsqu’il se joue de la mort au-dessus du vide. D’ailleurs, elle tombera peu à peu amoureuse de ce fou à l’esprit libre qui, hélas, n’est pas apprécié par un Zampano qui voit rouge dès qu’ils se croisent, d’autant que le funambule est de ceux qui pense que la parole est toujours plus forte que la force brute et ne peut s’empêcher de le chambrer à la moindre occasion. Leur tension est si insupportable que Zampano est renvoyé après son passage en prison après leur dernière rixe, éloignant Gelsomina de son seul amour. Car elle est ainsi Gelsomina, elle fait passer sa fidélité avant l’amour : peut-être sa mission, après tout, est d’accompagner ce monstre d’égoïsme qui ne comprendra jamais rien à l’amour, peut-être Gelsomina sent cette faille qui finira par éclater à la fin du film, comme une roche qui éclate d’un seule coup sous l’effet d’un choc de température ou un coup de foudre.

Car hélas, Gelsomina perdra la raison dans cette odyssée, après un fatale accident dont elle se sent responsable, la rendant si folle que Zampano ne pourra la supporter plus longtemps, inquiet de son état mental, de sa santé.
LA STRADA fait partie de ses œuvres qui brille un peu plus que les autres, dans la nuit étoilée de l’Histoire du cinéma, une étoile qui se distingue de la multitude, qui nous guide ou nous fait rêver. Frederico FELLINI, bien que pas inconnu dans le milieu du cinéma italien, marque à jamais son entrée au Panthéon des grands rélisateurs au point que son nom donnera un adjectif qui sera utilisé très souvent comme un fourre-tout critique pour exprimer une atmosphère, un style...
Confirmant que cet univers a eu une telle influence sur les génération le succédant, qu'il a été souvent dupliqué, sans jamais avoir été égalé.

Il y a une mélancolie qui imprégne le film. Non une tristesse concluant une histoire, mais une atmosphère qui enveloppe le spectateur : on est attaché à cet être pur, cet ange sans ailes qu’est Gelsomina, qui par sa beauté, renvoie un peu d’humanité à ce monstre de brutalité qu’est Zampano. C’est aussi une histoire d’emprise d’un homme qui pourrait être la facette négative de FELLINI tant celui-ci a toujours été considéré comme un bon vivant. Mais ici, Zampano est tout en grossièreté, force brute, vulgarité, sa sexualité ne peut qu’être bestiale, soit il profite, soit il s’empare, jamais il ne donne.
Puis, ce drame, cet accident mortel, qui foudroiera cet ange au point que celui-ci ne souhaitera plus ni parler ni manger : la mort est en elle aussi et Zampano par lâcheté (et/ou culpabilité) l’abandonnera dans son sommeil sur une route de montagne pour vivre sa vie…
Jusqu’à ce final, où un chant le ramène à ce passé quelques années plus tard et qu’il apprend que Gelsomina a retrouvé ses ailes pour rejoindre le ciel, le monstre d’égoïsme, la brute, l’assassin, va ressentir ce que jamais encore il n’avait ressenti jusqu’alors : son humanité. Sous sa forme la plus dense comme des eaux relâché par un barrage, une humanité baignée de larme, de désespoir et de remords, celle d’un homme qui réalise qui n’a pas su apprécier ce don du ciel au point de ressentir cette solitude que nul ne peut guérir.
Après le rire, la passion, et les larmes, le cinéma italien s’exprime aussi par le cri.
IL GRIDO (LE CRI) de Michaelangelo ANTONIONI – ITALIE/1957/N&B/ 102 mn
Aldo (Steve COCHRAN) est ouvrier dans une sucrerie dans une petite ville de la région de Pô. Il entretient depuis quelques années une relation avec une femme mariée, Irma (Alida VALLI), dont le mari est parti en Australie pour le travail. Une relation assumée, à la vue et au su de tous qui a notamment donné le jour à une petite fille nommée Rosita qui a maintenant une dizaine d’année. Un jour, alerté par un de ses collègues du passage d’Irma en larme à l’usine, il décide de la retrouver à la maison. Là, elle lui apprend le décès de son mari en Australie. Aldo y voit l’occasion de peut-être, enfin, officialiser leur relation et lui propose de se marier, mais Irma ne le souhaite pas et lui avoue que depuis quelques temps, elle voit un autre homme.

Aldo est dévasté par la nouvelle, essaie par les supplications et la violence de la reconquérir, mais s’il y a bien une horrible vérité en amour, c’est que l’on ne peut regagner les faveurs d’un cœur qui ne brûle plus pour vous, et encore moins quand celui-ci est conquis par un autre.
Il décide alors de quitter la ville avec Rosita et de partir retrouver son ancien amour, Elvia (Betsy BLAIR), qu’il se dit peut-être encore amoureuse de lui…
L’homme brisé et aux épaules voutés, tenant la main d’une petite fille marche le long d’une route tranchant de son bitume, des champs à perte de vue sous un ciel blanc d’hiver, quand le paysage n’est pas enveloppé d’une brume ou la terre noyée par la pluie, transformant la poussière en boue. Un homme qui entraine sa petite fille des jours, des semaines, des mois… sous ce ciel hivernal incarnant cette blessure affective, ce chagrin. IL GRIDO est une forme d’odyssée intérieur – des critiques français qualifieront de film néo réaliste intérieur – et imprègne le spectateur de cette mélancolie. Aldo est une sorte de fantôme qui pour fuir le chagrin, s’en va retrouver une histoire passée avec Elvia, et en effet, il existe encore dans le cœur de celle-ci malgré les années. Sa petite sœur est désormais une jeune femme qui n’est pas insensible à aux charmes de cette figure du passé… Mais les retrouvailles seront à l’image de la météo, pluvieuses : chaque pas est un calvaire dans cette boue qui semble vous empêcher de marcher d’un pas volontaire… Alors Aldo repart, continue sa route, fuit avec sa fille. L’homme trouvera une halte dans une station-service tenue par Virginia, femme forte et sensuelle, qui tient d’une main de fer son commerce exposé quotidiennement à la masculinité de passage, le temps d’un plein, le temps d’un sourire, d’un échange, tout en s’occupant d’un père qui marche au bord de la sénilité – où est-il conscient de ce qu’il fait et souhaite affirmer son existence auprès de sa fille, à travers ses écarts éthylique.

Aldo retrouve la sensualité dans les bras de cette volupté, mais l’existence de Rosita l’empêche d’oublier son amour perdu… Virginia laisse donc l’homme partir… mais celui-ci, avant, dépose Rosita dans un car pour qu’elle y retrouve sa mère Irma.
Seul sur la route, son chemin croisera une nouvelle femme, une prostituée rêveuse qui se laisse charmer par cette âme perdue. Andreina (Lynn SHAW), se brûlera les ailes aussi, l’homme décidant malgré leur vie de bohème, rebrousser chemin et retrouver cet amour perdu : après tout, Elvia l’aimait encore, peut-être qu’Irma aussi ?
Mais au retour en ville, les choses ont changé. Car même si, pendant tout le film le ciel est resté blanc ou brumeux, quand il n’était pas pluvieux, même si les arbres sont toujours sans feuille, les saisons sont passées comme si à défaut d’un printemps, d’un été, d’un automne et un hiver, ce sont ses rencontres qui ont été ses saisons… Aldo retrouve donc son hiver, Irma, dans une ville en ébullition puisque les habitants manifestent contre le projet d’un aéroport qui entrainera des expropriations, mais d’une fenêtre d’une belle maison luxueuse, il surprendra Irma, tenant un bébé, heureuse.
Heureuse sans lui.
Alors Aldo s’en va retrouver le seul lieu où il a pu prendre un peu de hauteur, cette tour métallique de la sucrerie (seul bâtiment en hauteur du film). Irma entre-temps, informée de sa présence en ville, essaie de le retrouver, mais celui-ci est montée en haut de la tour.

EL GRIDO fera parler de lui et marque une date dans l’histoire du cinéma et dans la carrière d’ANTONIONI qui use des techniques néo réalistes pour l’amener dans un style plus introspectif et symbolique. Ce qui compte, c’est de travailler l’atmosphère pour faire ressentir au spectateur l’émotion (décor hivernal, photographie d’un gris moyen comme dirait Jean GILLI, historien et critique de cinéma italien, musique). On dit que FELLINI et lui était un peu lié dans leur carrière, même si l’un mourra avant l’autre : il est vrai qu’il y a une impression que l’œuvre de l’un répond à l’autre.
Michaelangelo ANTONIONI, issu de la bourgeoisie italienne, aura pour souci de raconter une histoire dans un univers prolétaire qui lui est complètement étranger. Quelle différence entre un homme qui fait un métier et un autre se demandera-t-il ? Le bourgeois a le temps et l’argent de surmonter ses états d’âmes, l’ouvrier n’étant pas libre de son temps, y est enfermé par sa condition sociale.

Est-ce pour cela qu’il fait jouer des acteurs hollywoodiens des rôles d’ouvriers, de prostituées ou de femmes au foyer ? Cette plongée fascinante pour lui, pourrait tout autant poser question, pourquoi alors ne pas avoir réalisé un film sur des bourgeois, interprétés par des acteurs inconnus, sortant d’usine comme le néo réalisme a pu fournier comme acteurs amateurs ? N’était-ce pas justement un argument quelque peu bourgeois ?
Il y a aussi une symbolique religieuse dans le final, puisque la caméra en contre plongée offrira peu avant le générique de fin, le spectacle d’un homme au sol, les bras ouverts, à plat ventre, et une femme à genoux à ses côtés, pleurant, comme si Aldo était un Christ prolétaire descendu de la Croix, sacrifié pour avoir trop aimé.
I SOLITI IGNOTI (LE PIGEON) de Mario MONICELLI – Italie/1958/N&B/ 105 mn
Peppe (Vittorio GASSMAN), boxeur endettté jusqu’au cou, accepte de faire le pigeon et de s’accuser du vol de Cosimo (Memmo CAROTENUTO) qui risque, pour récidive, une longue peine. Ils ont beau simuler théâtralement l’erreur judiciaire, le juge n’est pas dupe et les enferme tous les deux. Cosimo ronge son frein et réalise qu’il ne pourra faire le coup de sa vie, et ne peut s’empêcher de partager son projet à Peppe. Mais celui-ci sort de prison, s’approprie l’affaire et monte son équipe de bras cassés – au sens propre comme au figuré. L’équipe se constitue de Mario le chômeur orphelin, amoureux de la sœur du Sicilien Michele surnommé « Ferribotte », tout aussi soucieux de son allure que de la vertu de cette dernière (Claudia CARDINALE) ; Capannelle le vieux goinfre qui ne manque jamais l’occasion de manger ce qui traîne (Carlo PISACANE) et Tiberio père devant s’occuper de son enfant le temps que la mère sorte de prison. Tous ont un point commun, la misère dans laquelle ils essaient de s’extraire. Le vol demandant de faire sauter un coffre, Dante Cruciani (Antonio de CURTIS dit Totò) est approché pour préparer au mieux leur opération.

Avec leur propre moyen, s’inspirant des cambriolages les plus emblématiques du cinéma noir américain, cette bande d’habituels inconnus – comme évoqué dans le titre d’origine – vont faire leur possible pour mener à bien leur projet, malgré les difficultés de leur classe, l’innocence dans ce domaine, les particularités qui les diffèrent.
Mario MONICELLI l’avoue sans honte, ce long métrage s’inspire notamment d’un classique de Jules DASSIN : DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES, tourné en France 1955 alors que ce dernier fuyait le Maccarthisme régnant aux Etats Unis. I SOLITI IGNOTI marquera surtout l’art de concilier une forme de néo réalisme (dans la mise en scène et les sujets sérieux abordé) en la tournant en dérision, comme pour se libérer d’une triste réalité sociale dans cette Italie post fasciste sortant de la Seconde Guerre Mondiale. Une bande de pauvres ordinaires, qui ambitionnent de voler les biens d’un Mont de Piété, dernier lieu pour les personnes en difficultés sociales d’avoir un emprunt en laissant là leur bien. Mais le plan ne se déroulera pas comme prévu, et finira dans une pathétique catastrophe, où les querelles s’estomperont dans un acte qui lient tous les Italiens, quel que soit leur classe et leur origine territoriale : un bon plat de pâtes.

Claudia CARDINALE n’est certes pas à son premier film, mais elle rayonne par sa présence. Mario MASTRIOANI trouve enfin sa consécration internationale, Vittorio GASSMAN – que les producteurs hésitaient à prendre car trop figé selon eux et donnant une image d’intello éloigné du boxeur prolétaire qu’il devait interpréter – montre là qu’il peut aussi jouer la comédie et Renato SALVATORI faire l’acteur pour un réalisateur autre que Dino RISI.
Si le film raconte l’histoire d’un hold-up raté, il n’en raflera pas moins le succès international au point d’avoir dans les revues françaises de cinéma, des articles élogieux. Comme nul n’est prophète dans son pays, la critique italienne l'accueillera froidement : l’élite n’appréciant peut-être moins ce vernis d’humour et de satyre sur des sujets aussi grave que la pauvreté. Et pourtant, I SOLITI IGNOTI initiera un genre à lui tout seul, de ces comédies foncièrement satyriques sur des sujets de société, apportant cette fraîcheur et cette vitalité si propre au cinéma italien.
Deux suites seront tournées : AUDACE COLPO DEI SOLITI IGNOTI (HOLD UP A LA MILANAISE) de Nanni LOY et I SOLITI IGNOTI VENT’ANNI DOPO (LE PIGEON VINGT ANS APRES) d’Amanzio TODINI.
I SOLITI IGNOTI, légèrement inspiré d’une nouvelle d’Italo CALVINO, est réécrite au dernier moment, Mario MONICELLI ne sentant pas celle qui avait été initialement prévue.
VIAGGIO IN ITALIA (VOYAGE EN ITALIE) de Roberto ROSSELINI – 1953/N&B/Italie/ 97 mn
Deux âmes usées de se côtoyer, liées par ce qu’on appelle le mariage, sont en voiture en direction de Naples, pour y retrouver la maison d’un oncle dont ils ont hérité, et qu’ils souhaitent vendre. Après quelques échanges presque mécaniques, ne s’appuyant que sur l’habitude émoussant la passion qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, Alexander Joyce (Georges SANDERS) – homme d’action allant sur la cinquantaine – demande à prendre la place de son épouse Katherine (Ingrid ROSSELINI). Une façon de s’enfoncer plus encore dans une bulle où les mots de Katherine peine à l’atteindre.

Katherine et Alexander sont un couple à la dérive, tel un navire qui prend la rancœur cumulée au fil des ans d’une vie commune. Bien qu’ils aient une vie mondaine assez riche, une vie bourgeoise qui les éloigne du besoin, chacun vit avec ce sentiment d’avoir manqué quelque chose. Alexander, homme d’action, vit sa crise de quinquagénaire et guette le moment où une passion pourrait s’offrir à lui, comme dans son plus jeune âge. Katherine, quant à elle, se sent seule. Sans enfant, sa vie se compose d’attente où l’on est trop soi-même et les soirées mondaines où l’on est que surface.

Arrivé à la Maison de l’oncle Homer, le couple se tend, s’irrite, se craquèle. L’homme d’action se moque de visiter Naples qui de toute manière, ne correspond pas vraiment à sa classe, quant à Katherine, elle s’oublie dans ce plongeon touristique, dans le dépaysement entre les antiques civilisation et l’atmosphère chantante et pauvre de la vie Napolitaine, où le sacré est même dans le sourire d’un enfant.
Et puis, c’est la dispute de trop. Alexander décide de partir de son côté à Capri, rejoindre des amis mondains. Katherine, elle, reste, et s’en va découvrir Naples et ses secrets.
Mais tandis qu’Alexander papillonne pour y retrouver le miel de ses passions passées en éprouvant son charme auprès d’une gente féminine en quête de liberté et jamais à même de manquer l’occasion de séduire, Katherine se perd dans les musées, les catacombes, les balades comme une odyssée personnelle. Troublée par les richesses des civilisations perdues, qu’elles s’expriment par la nudité transfigurée ou le rapport à la mort, elle erre comme un fantôme en quête d’une vérité sur elle-même et son couple.

Alexander s’amuse, séduit et se laisse séduire tandis que Katherine regrette l’absence de son mari, de ces découvertes qu’elle n’a peut partager avec lui.
Mais l’éloignement, pour chacun, n’aura pas apporté le même fruit. Alexander est décidé à la séparation et attend le moment de le déclarer – car il faut bien que l’un des deux se décident - n’est-il pas un homme d’action ? – après avoir été confronté à son propre aveuglement en tentant une amourette avec une jeune femme ayant déjà un fiancé. Katherine prend la nouvelle comme une déflagration, le monde s’écroule alors que son amour refleurissait comme pour un printemps.
Mais une visite inattendue va plus encore la bouleverser, être l’instant cathartique qui lui fera saisir que bien qu’il soit peut-être trop tard, le cœur est là, bat toujours pour cet autre dont elle a si tant partagé…

A l’origine, Roberto ROSSELINI souhaitait adapter Duo de COLETTE, et profite de l’occasion pour inviter Georges SANDERS dont il aime le travail, à tenir le rôle principal avec Ingrid BERGMANN, son épouse et partenaire de cinéma. Mais voilà, à peine l’acteur anglais arrive-t-il à Rome, que Roberto ROSSELINI découvre que les droits de Duo sont déjà acquis. Situation étrange, même pour un réalisateur de renom : avoir le casting sans avoir d’histoire.
Le tournage débute sans que celle-ci soit écrite. Le réalisateur filme des moments de voyages, des visites de musées et de sites. Ingrid BERGMANN, malgré tout son amour pour son époux, commence à douter tandis que Georges SANDERS appelle tous les soirs son psychiatre à Hollywood pour l’aider à surmonter sa dépression. Fragile, il sombre dans la dépréciation de soi et le sentiment de ne servir à rien dans son rôle sculpté au jour le jour, avec si peu de dialogue.
Et pourtant, malgré le tâtonnement, le scénario s’écrivant au fil des jours, la magie est là : rapidement le spectateur comprend ce qui n’est pas verbalisé, ce qui se fissure sous ses yeux, ce qui est prêt à craquer. L’odyssée de Katherine dans les musées, les sites archéologiques, les rues napolitaines, apportent cette particularité de découvrir aussi une ville emblématique, avec ses codes, sa misère et cette joie de vivre, sa richesse culturelle… la découverte qui cristallise l’émoi faiblissant de Katherine reste le symbole d’un néo-réalisme très rarement atteint, où comment le hasard peut non seulement guider une histoire mais apporter une symbolique pure et fracassante.
Georges SANDERS retiendra malgré tout un très bon souvenir du tournage, notamment cette main sur l’épaule posée par le réalisateur qui lui souffla à l’oreille : « Ce n’est pas le premier mauvais film que tu fais, et ce ne sera certainement pas le dernier… Alors à quoi bon t’inquiéter ? ».
Le film a sa sortie fut descendu par la critique, sauf celle qui donnera les réalisateurs de la Nouvelle Vague qui vit dans VOYAGE EN ITALIE, l’exemple à suivre pour le cinéma français, sous peine de mort (Jacques RIVETTE).

I VAMPIRI (LES VAMPIRES) de Riccardo FREDA & Mario BAVA – 1957/N&B/ 85 mn
La production de films italiens ne cesse de croître, de 25 films produit en sortie de guerre, 1945, 1954 en propose 204. Riccardo FREDA sent qu’il doit se démarquer sans céder à cette mode pour le cinéma néo-réaliste qu’il déteste tant. La HAMMER, n’a pas encore sortie THE CURSE OF FRANKENSTEIN de Terence FISCHER (FRANKENSTEIN S’EST ECHAPPÉ – 1957), qui relancera la mode du cinéma d’épouvante, et le fantastique subit encore les répercussions d’une censure durant la période fasciste (1930 – 1940). Riccardo FREDA est à une table de poker avec deux producteurs, Luigi CARPENTIERI et Ermanno DONATI. Etaient-ce les seuls joueurs autour de cette table ? On peut imaginer une pièce baignant dans l’obscurité, où seul est éclairée en son centre, cette table ronde couvert d’un tapis vert velours, baignant dans une nuée de fumée de cigare… Une tension règne entre les joueurs, et Riccardo FREDA, éternel flambeur brise ce silence (peut être dans l’intention de déstabiliser ses adversaires ?) et propose aux producteurs de réaliser un film fantastique et gothique, avec un petit budget où il proposerait le rôle à sa propre épouse Gianna Maria CANALE ; le tournage ne dépasserait pas 12 jours ! Les producteurs ont dû s’interroger du regard, se demandant si cette proposition faisait partie du bluff ou si elle devait être prise au sérieuse. L’histoire ne nous le dit pas, même si le fait qu’il fut tourné nous pousse à croire à la seconde solution…

Le lendemain, Riccardo FREDA se présente aux producteurs avec un enregistrement audio pitchant l’histoire. L’histoire tient selon eux et ce flamboyant réalisateur serait assisté d’un magicien du trucage et de la photographie, encore inconnu du public : Mario BAVA.
Ce sera la première collaboration officielle de Mario BAVA avec FREDA, mais pas la première fois qu’ils auront travaillé ensemble : SPARTACO (SPARTACUS en 1952), TEODORA, IMPERATRICE DI EMPIRIO (THEODORA, IMPERATRICE DE BYZANCE) la même année et BEATRCIE CENCI (LE CHATEAU DES AMANTS MAUDITS – 1956), et à chaque fois, cet artiste humble et discret, à apporter sa touche qui surprend encore le spectateur, dont l’exécution de scènes aux effets spéciaux les questionnent encore.
Ils sont déjà à leur 4e collaboration.

Au bout de 10 jours, Riccardo FREDA claque la porte du plateau prétextant que le film, en état, ne correspond plus vraiment à ce qu’il voulait faire. Problème, en 10 jours, à peine la moitié du film est dans la boîte. Les producteurs et la compagnie TITANUS sont sûrement en panique : comment finir le tournage en seulement 2 jours pour respecter les délais avant que la ruine ne leur tombe dessus ? Mario BAVA s’impose à eux : qu’il fasse son possible pour finir ce film maudit. Après tout, n’est-il pas réputé pour mettre en scène l’impossible ? Une belle opportunité pour BAVA qui se retrouve sous les feux des projecteurs, lui artisan de père en fils, discret, si discret que s’il avait manqué cette opportunité, peut-être ne nous l’aurions jamais connu. Car BAVA n’est pas du tout carrieriste, mais juste soucieux de mettre en image ses rêves et ses cauchemars, que l’on surnommera plus tard – comme Christophe GANS – Le génie le plus discret du cinéma.

Mario BAVA va non seulement tenir le pari, mais perdu pour perdu, apportera sa touche baroque au film au point d’offrir une œuvre étrange, aux sensibilité duales. La rationalité de FREDA se laissant couvrir par l’onirisme de BAVA…
Deux univers en un, comme l’un est artistocrate, flambeur et arrogant et l’autre prolétaire, économe et faussement modeste.

L’histoire ? Elle se déroule à Paris bien qu’il n’y fut jamais tourné là-bas (Certain y voit un hommage à la série de film LES VAMPIRES de Louis FEUILLADE, dans les années 10. Une série de meurtres noircies les unes de journaux et terrifient la population : des jeunes femmes sont retrouvées mortes, vidées de leur sang. Le tueur est surnommé le Vampire par la presse et la police peine à avancer dans son enquête. Un jeune journaliste Pierre Latin (Dario MICHAELIS), obsédé par cette affaire, va tout faire pour la résoudre, bien que cela ne soit pas forcément au goût de l’inspecteur Chantal (Carlo d’Angelo) même si ce dernier reconnait chez le journaliste son abnégation dans l’investigation… Mais Pierre Latin, doit aussi gérer les avances d’une certaine Gisèle qui, malgré son jeune âge, aurait connu son père. Bien qu’il essaie de prendre ses distances, le rédacteur en chef de Pierre l’envoie faire un article avec un collègue photographe, sur le bal organisé par cette jeune comtesse, qui n’arrange en rien sa volonté de prise de distance.

BAVA s’extrait d’un scénario quelque peu gore pour l’époque à la demande des producteurs (une scène de décapitation sera coupée mais laissera tout de même ses traces à l’un des protagonistes du film) qui craignent la censure, et apporte un peu plus de fantastique et d’étrangeté dans une atmosphère jouant sur les contrastes, la lumière et la photographie.
Il apportera notamment une scène truquée époustouflante : le vieillissement en un seul plan d’un personnage. Le truc ? un maquillage sensible à la couleur de l’éclairage, qui passant du bleu au rouge (invisible sur l’image noir et blanc) laisse paraître peu à peu le vieillissement de la peau, des cheveux et le pourrissement des dents.

I VAMPIRI est un peu le brouillon des futurs œuvres de Mario BAVA, père notamment du Giallo et des Slashers notamment.
Hélas, le film ne marchera pas au box-office. FREDA le désapprouvera, n’y gagnant que la dépossession de son œuvre et d’être en froid avec son épouse qui ne souhaitera plus jamais tourner avec lui. Malgré cela, il racontera une anecdote qui expliquera l’emploi d’un nom anglophone dans ses futures réalisations comme nombres de ces pairs : devant un cinéma, il croise une bande de jeunes qui hésitent à se payer une séance pour I VAMPIRI avant de laisser tomber en réalisant que c’est une production italienne qui, selon eux, sera forcément médiocre.
Le film est peut-être arrivé trop tôt, comme les précurseurs il ne touche pas ce public qui, quelques années plus tard fera la queue pour le même type de film. Il faudra le succès de la HAMMER pour le genre soit plus attractif pour le public et les investisseurs.
Qu’importe car pour l’histoire du cinéma : de cette œuvre étrange – ce film de FREDA corrigé par BAVA comme le dit Christophe GANS – sort de l’ombre un artiste incroyable encore peu trop connu, qui mérite à lui seul toute la reconnaissance des cinéphiles.
Cet article doit beaucoup à l'ouvrage Le Cinéma Italien de Jean A. GILI, aux EDITIONS DE LA MARTINIERE
Ainsi qu'à l'ouvrage Le Cinéma Italien de 1945 à nos Jours de Laurence SCHIFANO, aux éditions ARMAND COLIN

